Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 51.djvu/752

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


VII. — FIN DE COMPLOT

Péretti revenait de loin, — de « l’avide Achéron, » comme eût pu dire Luce de Lancival, le classique. Frappé au cœur, on aurait ramassé son cadavre dans la rue, on l’eût ensuite porté à l’ignoble morgue de la Grande-Geôle, et la police ne se fût jamais occupée de cet assassinat. Mais les francs-juges de la Patience avaient mal choisi l’exécuteur de leurs arrêts. L’ivrogne du Luxembourg, le citoyen habillé de gris, n’était qu’un piètre spadassin ; son couteau n’avait taillé qu’une simple boutonnière : en toute œuvre, d’art on doit employer un artiste.

Dès qu’il se vit couché sur sa paillasse, le moribond se retrouva dispos, gaillard, plein de santé, ne songeant plus qu’à l’avenir… Qu’allait-il faire, à présent ? Il réfléchissait. Sa logeuse était femme, c’est-à-dire indiscrète ; elle irait avertir le commissaire, et bientôt ce monsieur exhiberait son écharpe dans l’hôtellerie de la Fraternité. Déplaisant tête-à-tête : le railleux et le pégriot ! Pourtant, Brutus désirait se venger, surtout tirer parti de son égratignure… Au cours de telles méditations, l’idée lui vint d’écrire directement au Premier Consul. Sa haine pour Buonaparte s’était subitement dissipée ; maintenant il le trouvait grand, très grand, même aussi grand que Paoli : Napoleone était la gloire du maquis corse, le salut de la République française ! Et puis, chanceux compatriote, il disposait de fonds secrets ; l’argent n’est jamais indigeste, et Antonio, le crève-misère, ressentait de furieuses fringales. Une place de choix dans la police particulière, en compagnie de huppés personnages, n’aurait pas déplu à ce repenti… « Ben trovato !… »

L’épouse veillait en larmes au chevet de l’époux ; Antonio l’invita à sécher ses pleurs, lui ordonna de prendre la plume, et dicta une lettre pour le Premier Consul.

Cette lettre existe encore, curieuse épître qui fait honneur à l’apertise de Péretti. Il y raconte d’ingénieuse manière son aventure, relate les propositions faites à sa détresse, vante l’intégrité de sa conscience, se pose en incorruptible, écoutant pour révéler : «… Rempli de l’ardent désir de déjouer les conspirateurs, je feignis constamment d’être moi-même très mécontent, et de vouloir les seconder. Ils jugèrent à propos de m’associer à eux, et m’en firent la proposition. J’eus l’air de me prêter