Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 51.djvu/834

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ce n’est même pas modestie ; c’est indifférence au succès et « au bruit qui frappé l’air. » Je suis absolument persuadé qu’il n’a publié son étude sur Burns que parce que c’était sa thèse de doctorat, et qu’il n’a publié ses vers que parce que… mon Dieu, si vous avez eu une amie de qui les fatalités de la vie vous ont séparé et si vous avez fait des vers qui, pour la plupart, lui étaient adressés et qui tous étaient inspirés par elle, je n’ai aucun besoin de vous expliquer pourquoi M. Angellier a publié ses vers.

Mais M. Angellier a beau être obscur par vocation, il faut, pour l’amour départ, que le grand public le connaisse. Vous me direz que pour qu’une telle modestie puisse s’excuser, il faut que l’on soit un très grand poète. Peut-être bien. À ce compte, M. Angellier serait un peu dans son tort. Il n’est pas un très grand poète. Mais il a assez de mérite pour pouvoir se permettre d’être modeste comme un grand homme ; et il est très loin d’être de ceux qui sont si petits qu’on trouve tout naturel qu’ils soient pleins d’eux, et qui sont si dignes de silence qu’on n’est point étonné qu’ils soient bruyans.

Il est né à Boulogne-sur-Mer en 1848. De son pays il a… il n’a rien du tout. Il faut croire qu’il a tellement horreur de faire parler de lui, qu’il a voulu frustrer les critiques des considérations, à son propos, sur la race, le milieu, l’habitat et les entours. Il nous coupe nos développemens. Il est de Boulogne, et il a l’air d’un Maure ou tout au moins d’un Catalan ; et il est de nature brusque et expansive. Mettons que ses arrière-ascendans étaient du Midi, ce qui est possible et ce que je crois qu’il ignore.

Il fit des études parfaitement irrégulières à Boulogne, puis un peu plus suivies au lycée Louis-le-Grand. Il fut bachelier, licencié, soldat en 1870 et un peu journaliste, entre temps ; puis se décida pour l’anglais, fut placé comme professeur de littérature anglaise à la Faculté de Douai-Lille, se fit recevoir docteur et a continué de professer à Lille jusqu’à nos jours. Il n’y a rien de plus dans sa vie extérieure. — Sa thèse sur Burns, décidément trop longue, est le plus souvent admirable, comme peinture des pays et villes habités par Burns ; comme psychologie d’un artiste, minutieuse, sûre et merveilleusement inventive en même temps ; comme critique proprement dite enfin, qui est telle qu’on y sent un poète expliquant un poète et s’entendant aux œuvres d’un autre comme s’il les avait faites lui-même et comme s’il y revenait, beaucoup d’années passées, avec des yeux frais.