Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 51.djvu/850

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

bande. De là, dans un conflit où personne, en définitive, ne veut la guerre, un élément d’imprévu qui en modifie parfois les aspects et en dramatise les péripéties.

Bien choisir son champ de bataille, c’est la première condition du succès : pour les puissances de la Triple-Entente, pour la Russie surtout, le champ de bataille était mal choisi. M. Isvolski a reconnu lui-même, dans un discours, que, dans la question de Bosnie, il n’avait pas les mains libres ; les engagemens de ses prédécesseurs jalonnaient par avance la route par laquelle, — à moins de recourir aux armes, — s’acheminerait nécessairement le débat soulevé par l’annexion. Il faudrait remonter jusqu’au XVIIIe siècle, à 1782, pour trouver les premières ébauches d’un partage d’influence, dans les Balkans, entre le Romanoff et le Habsbourg : à Catherine, Constantinople, la Mer-Noire et le Balkan oriental ; à Joseph II, Belgrade, la Bosnie et le Balkan occidental. Les engagemens plus récens de la Russie sont donc dans l’esprit traditionnel de sa politique. Elle s’est servie, à certains momens, de la « fraternité slave, » mais elle n’a jamais solidarisé complètement les intérêts russes avec les intérêts slaves. Au moment même où elle va entreprendre une guerre dont la délivrance des Slaves du Balkan est le prétexte, elle signe la convention de Reichstadt, véritable origine de l’occupation autrichienne en Bosnie (juillet 1876) : le général Soumarakof, dans sa mission à Vienne, pendant le cours des hostilités, renouvelle ces engagemens que confirme, sur la proposition des plénipotentiaires anglais, le traité de Berlin. L’entente de 1897, conclue au moment du voyage de l’empereur François-Joseph à Pétersbourg, est conçue dans le même esprit ; elle comporte une reconnaissance nouvelle de la situation de fait acquise à l’Autriche en Bosnie-Herzégovine. Il était donc tout naturel que M. Isvolski ne protestât pas lorsque, à Buchlau, le baron d’Æhrenthal le mit au courant, plus ou moins clairement, de ses projets. Nous rappelons, sans y insister, — en ayant déjà parlé ici, — ces conventions : elles ne constituaient pas, juridiquement parlant, pour l’Autriche, un droit d’annexer la Bosnie et l’Herzégovine, mais elles étaient de nature à lui faire croire qu’elle ne rencontrerait qu’une faible opposition de la part de la Russie. Dans l’histoire de la dernière crise balkanique, les hypothèques qui, dès l’origine, pesaient sur l’action de M. Isvolski, expliquent sa résignation finale.