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indiscret, la vertu bruyante, où l’intendant, en un mot, devait choisir et garder pour maxime la devise des préfets heureux : point d’histoires.

Ainsi qu’on le devine aisément, ce rôle d’enfant perdu de l’administration ne fut pas du goût de Montyon ; après avoir accepté, avec enthousiasme, l’avancement qu’on lui offrait, il se mit, sans découragement, sur le pied d’un homme qui ne borne pas son activité au rôle de consolateur officiel et distributeur de charités ; il s’attacha à transformer véritablement du tout au tout la province que jusqu’à présent on avait simplement songé à secourir. Un dessein aussi hardi supposait le courage et l’habileté de résister tour à tour aux ministres, à la noblesse, aux « communautés, » au peuple lui-même. C’est par les ministres que Montyon commença.

Le contrôleur général de l’époque se nommait Laverdy, ou de Laverdy, ou encore L’Averdy, suivant le soin et la manière que l’on prenait de l’anoblir. Ancien conseiller au Parlement, il s’était enfoncé dans le parti de Choiseul ; il y passait pour un homme juste, sinon avisé ; le parti adverse le traitait couramment de janséniste, voire de républicain[1]. Montyon, toujours indépendant, a tourné vers lui cette pointe : « Le mérite de M. Laverdy auprès de M. le duc de Choiseul fut d’avoir, dans le parlement, attaqué vigoureusement les jésuites dont ce ministre provoquait la destruction ; mais on peut haïr les jésuites, les injurier, même les calomnier, sans avoir les qualités d’un grand ministre, et M. Laverdy le prouva[2]. »

Il le prouva d’abord en reprenant à son compte une des mesures les plus impopulaires du règne de Louis XIV, le renfermement des mendians. On sait en quoi consistait cet expédient, intermédiaire entre l’assistance et la police : quand la misère était grande et que le nombre des claque-dents semblait dangereux pour la paix publique, on les enfermait dans quelque prison, où la faim, le froid et la maladie les décimaient. Après quelque temps, il fallait bien relâcher ceux qui avaient supporté l’épreuve ; mais, sans ressources, sans attaches familiales, sans métier avouable, ils redevenaient vagabonds comme devant, et rien n’était changé. Voici pourtant les ordres que reçurent du contrôleur général,

  1. L’Espion dévalisé.
  2. Montyon, Particularités sur les ministres des Finances, p. 67 de l’édition de Paris.