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aux misérables et dont l’État a le devoir de forcer les portes. » Un autre accusait les autorités du Limousin d’avoir fait acquérir du blé en Auvergne et d’affamer ainsi une province, pour en sauver une autre. Montyon, par acquit de conscience, demanda des explications à Turgot, qui les lui donna, il autorisa aussi la visite de quelques greniers suspects, tout en recommandant aux exempts d’en user avec prudence et d’éviter les vexations. Mais, à la vérité, rien ne l’agaçait comme ces plaintes sans fondement, ces délations, ces malentendus, engendrés, disait-il, par la méchanceté et l’imbécillité, et qui engendraient à leur tour la fermentation et le désordre. Rien n’influera autant sur son humeur, et rien ne contribuera davantage à faire naître en lui une certaine misanthropie. Dans son amour pour la méthode, il ne concevait pas qu’une foule misérable et ignorante pût en venir aux violences qui compromettent les justes causes, et aux crimes qui les déshonorent ; et, de même qu’on le trouve souvent tatillon, autoritaire, presque dur, dans le gouvernement de ses biens personnels, de même, nous allons le retrouver, dans l’exercice de ses attributions de police et de tutelle administrative, sans flexibilité, indifférent aux nuances et dédaigneux des tempéramens.


II

La tutelle administrative était organisée, sous l’ancien régime, à peu près comme elle l’est aujourd’hui ; quand une paroisse voulait engager une dépense extraordinaire, et, par suite, s’imposer extraordinairement, elle devait obtenir l’aveu de l’intendant. Autant vaut-il dire que ce dernier présidait à une grande partie de la vie communale. Dès le début de sa magistrature, Montyon marqua son intention d’exercer soigneusement une telle prérogative, et comme, un jour, on voulait lui faire viser, sans autre forme, les états des frais médicaux et pharmaceutiques dus par quelques paroisses de sa généralité, il répondit à M. Lambert, son premier commis : « Quand je serai en Auvergne, les médecins, les chirurgiens et fournisseurs n’auront qu’à remettre leurs mémoires, ils seront payés sur-le-champ. Mais je n’arrêterai pas les mémoires à Paris[1]. » Cette rigueur devint tout à fait impitoyable à partir du moment où la disette

  1. Archives du Puy-de-Dôme, C. 1366.