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s’amuser un brin ; ses jeux consistèrent, tantôt à se promener dans Lezoux armé de fusil, pistolet et sabre, suivi de sa bande, et « criant qu’il allait mettre à la raison tous les gabelous, » tantôt à assaillir et laisser sur le carreau quelque exempt de la maréchaussée, tantôt, enfin, à venir coucher, en ami de la maison, dans l’auberge même où étaient descendus, vêtus comme des colporteurs, les gens chargés de l’arrêter.

Et les Auvergnats de rire, et les commères de jaser !… Montyon comptait parmi les rares Français qui n’admirent jamais que Polichinelle pût impunément rosser le commissaire ; pendant tout le temps que durèrent les facéties de Taurin Montagne, il ne tint donc pas en place : dès le commencement, on le voit inscrire en tête d’un rapport de M. Boudai : Il faut y mettre ordre absolument. Puis il n’arrête plus d’envoyer aux habitans de Lezoux, par l’intermédiaire du subdélégué, des exhortations, des réprimandes, parfois des menaces. « Le peu d’empressement, dit-il, que, témoignent les habitans de Lezoux, pour purger le pays d’un brigand, donne une faible idée de leur zèle pour l’ordre et la tranquillité publics. Vous voudrez bien faire, à ce sujet, monsieur, des remontrances aux plus sages d’entre eux ; aux autres vous direz que les hôtes du nommé Montagne seront mis, s’ils continuent, dans un cul-de-basse-fosse ; s’ils le livrent, ils auront une gratification très, honnête. » Mais ces promesses elles-mêmes demeurèrent inefficaces ; les gens de Lezoux continuèrent de receler et protéger leur brigand favori, celui-ci continua de bourrer les gabelous et de rançonner les voyageurs ; au mois de juin 1769, une véritable terreur régnait sur le chemin de Lyon et la nouvelle en parvint jusqu’aux oreilles de M. de Choiseul et du contrôleur général. C’est alors que Montyon inscrivit en tête d’une missive de M. Boudai, subdélégué à Lezoux, cette terrible annotation : Dire que je vais y aller. En même temps, il sollicitait, de M. de Saint-Florentin, un envoi extraordinaire de troupes, et il ajoutait : « Afin de pourvoir au rétablissement de l’ordre dans ce pays, j’ai résolu de m’y transporter et je pars dans l’instant. »

Une opération de gendarmerie, conduite par un homme de robe, contre des brigands d’opéra-comique, présente évidemment quelque chose de burlesque, et qui prête au sourire. Mais voici un incident qui sauva Montyon de tout ce ridicule et lui permit de prouver, une fois de plus, son indépendance et sa fermeté.