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Dès que Monseigneur l’Intendant eut fait entrée dans Lezoux, un zèle nouveau anima les fonctionnaires, et même de simples particuliers. Mille moyens d’arrêter Taurin Montagne furent soumis au choix du magistrat. L’un voulait que, dans quelque auberge, renouvelée des grottes de Circé, on endormît, avec de l’opium, le bandit, ses compagnons, ses hôtes « et généralement tous les voyageurs ; » un autre demandait plus simplement que l’on arrêtât cinq ou six des amis et receleurs de Montagne et qu’on les mît sous les verrous, « jusqu’à ce que leur langue s’en trouvât déliée. » A la première de ces propositions Montyon répondit qu’il ne convenait pas « d’empoisonner toute une hôtellerie pour s’emparer de trois ou quatre chenapans ; » à la seconde, il opposa fort justement qu’il était toujours délicat d’ « arrêter des domiciliés, » sur de simples soupçons ; qu’il serait odieux de les maintenir en prison « extraordinairement, » qu’il fallait respecter avant tout la liberté des citoyens ; et s’il fit ensuite « enlever » deux des prétendus amis de Montagne, ce fut seulement pour quelques heures, afin d’intimider les autres, et « d’allier, disait-il, ce qu’exige la sûreté publique avec ce que prescrivent les formes judiciaires. »

Cependant, nous l’avons dit, le duc de Choiseul avait été informé des événemens de Lezoux, par les rapports de l’intendant et par mille dénonciations officieuses ; les fermiers généraux le pressaient d’intervenir avec énergie, et de les débarrasser une fois pour toutes d’un adversaire plutôt gênant ; enfin, M. de la Ribbe-Haute, lieutenant de la maréchaussée à Riom, lui avait marqué les noms de deux ou trois personnes soupçonnées de cacher Taurin Montagne et contre lesquelles l’intendant avait refusé d’instrumenter, faute de preuves. Toujours prime-sautier, le ministre envoya l’ordre d’écrou à Montyon qui répondit, lui aussi, de prime-saut : « J’aurais été bien fâché, monsieur le duc, de faire exécuter votre ordre, convaincu qu’il n’est, ni dans la volonté du Roi, ni dans vos intentions, de compromettre légèrement la liberté des sujets de Sa Majesté, encore moins de les en priver injustement… Si l’on sévit contre des gens auxquels il n’y a rien à reprocher, tandis qu’on laisse impunis les véritables coupables, c’est le plus sûr moyen de mettre partout le trouble et le désordre. » À cette leçon d’autant plus dure qu’elle était méritée, Choiseul ou ses commis opposèrent le droit qu’ils possédaient de se renseigner directement auprès des maréchaussées, et de