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que cet événement était arrivé un jour où vous aviez pris médecine, et où vous aviez besoin de repos. » Quant à Montagne, il ne se découragea point, pour une promenade contrariée ; il attendit l’occasion ; elle lui fut offerte, de la plus galante manière, par les dames de la société clermontoise.

En ce temps-là, raconte Montyon « ces bonnes âmes » avaient accoutumé de visiter les prisons ; « sous le prétexte de la piété, » elles entraient dans les cachots, montraient des procédés pour les captifs et leur distribuaient des charités ; « comme de grands coquins bien faits et à moitié nus semblent généralement plus intéressans que d’autres, » le nombre des visites avait augmenté, depuis l’arrestation de Montagne, et, par fortune, dans le cabas de provisions que lui portait une sensible Auvergnate, le drôle découvrit les clefs du geôlier. Il prit aussitôt celle des champs. On était au mois d’août, Montagne fut rattrapé en septembre. Il se sauva, aux premières gelées. On le ramena dès les premières neiges. Pour en finir, on dut le condamner à être rompu, en place publique, lui et ses compagnons, et l’exécution se fit à Lezoux, le 13 février 1771. Mais jusqu’au bout, ces malheureux conservèrent la faveur populaire ; l’opinion condamna leurs juges et leurs bourreaux, et c’est sans doute vers cette époque que Montyon commença de ranger, parmi ses papiers, d’assez nombreuses notes, dans le goût et le ton suivant :

« O public, multitude imposante, composé respectable de tant de vils individus, juge souvent aveugle mais toujours souverain ; combien de grands hommes tu as maltraités, combien de vertus tu as méconnues, que ta justice est tardive, combien de tes erreurs couvre pour toujours la nuit des temps ! Sujet aux préjugés, aux passions, aux contradictions, tu prétends à l’infaillibilité, on t’encense comme un Dieu, on te flatte comme un Roi, on te maudit et on t’adore comme une maîtresse charmante et cruelle : tu règnes comme elle, et tu en as les caprices, tu recherches qui te fuit, tu fuis qui te recherche, terreur du faible, et faible toi-même, tu opprimes qui te craint, tu es femme[1]. »

  1. Archives de l’Assistance publique, fragment inédit tiré d’un portefeuille sur lequel Montyon a écrit : Pièces du procès contre le public.