Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 51.djvu/952

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

passages de l’andante, et l’accent et toute l’allure du menuet, et surtout le thème du finale, avec l’étonnant travail fugué dont il devient l’objet, se rattachent de tout près à tels des derniers quintettes ou des grandes symphonies de Mozart, mais, par-dessus ces souvenirs directs, c’est toute la signification poétique de la symphonie du « Papa » qui semble un écho délicieux de l’œuvre du « fils. » La ligne mélodique est plus ample qu’à l’ordinaire chez Haydn, le rythme plus chantant, l’inspiration sensiblement plus fondue et moins fragmentaire ; et parfois le vieux maître a le cœur si rempli de cet art, plus profond et plus haut, dont il se nourrit que nous croyons entendre l’auteur même de Jupiter lui soufflant à l’oreille, par exemple, l’exquise cantilène qui sert de « second sujet » à l’allegro vivace.

Mais, aussi bien, sa symphonie entière n’est-elle qu’une fleur dépure poésie, parmi ces merveilles de science, d’éclat, de force et de grandeur ou de verve comique que resteront à jamais les autres symphonies anglaises de la même série. Égarée parmi elles, dans tous les recueils, elle s’en distingue comme ferait une Vierge de Raphaël au milieu d’une galerie de Franz Hals et de Gérard Dow. Et nous savons, à présent, sous quelle touchante lumière cette fleur a germé. Au lieu de déplorer la mort du jeune confrère qu’il avait aimé plus que personne au monde, et de nous traduire son regret en une nouvelle Symphonie Funèbre, le noble vieillard a voulu que sa commémoration du poète revêtît la forme d’un chant, tout parfumé de jeunesse et de beauté éternelles. Il a voulu ressusciter en soi l’âme de son ami : et c’est à quoi il est parvenu, par un miracle d’admiration mêlée de tendre amour. Il me semble le voir, dans sa petite chambre, assis frileusement entre son poêle et son clavecin. Parfois il s’interrompt de son travail, pour laisser libre cours à ses souvenirs. Il évoque l’image lointaine de sa première rencontre avec l’enfant prodige ; et puis les voici tous deux à Vienne, Mozart et lui, s’amusant à échanger leurs nouveaux quatuors, et voici la scène affreuse des adieux, le jeune homme tout en pleurs s’attachant au cou du vieillard, lui prédisant que jamais plus ils ne se reverront… Une dernière larme tombe, lentement, sur la joue de Haydn : mais il sait trop, désormais, le peu de prix qu’il convient d’attacher à notre vie terrestre. Et c’est en souriant qu’il se remet à l’œuvre, après une courte prière, heureux de pouvoir apporter encore, avant de, s’en aller à son tour, un suprême et fervent hommage au génie de Mozart.


T. DE WYZEWA.