Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 59.djvu/134

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

plein, sous une charmante reine qui peut commettre des imprudences, mais qui ne demande pas mieux que de faire des heureux. Qu’est-ce, après tout, que Louis XVI et Marie-Antoinette ? Ce sont de bonnes intentions couronnées. Hélas ! ces bonnes intentions ont mal fini, comme elles finissent presque toutes ; car elles sont une faiblesse, le caractère seul est une force ; et Louis XVI était tout, sauf un caractère.

Cependant le succès semble justifier d’abord ces illusions et ces bonnes intentions. La prospérité renaît, comme la remarqué M. de Tocqueville, la population et les richesses s’accroissent. Un esprit nouveau, l’esprit d’entreprise, se répand partout, en attendant la grande entreprise de la Révolution. Le prix des fermages va s’élevant ; le bail de 1786 donne 14 millions de plus que celui de 1780. Dans le compte rendu de 1781, Necker assure que le produit de tous les droits de consommation augmente de deux millions par an. Avec cela le génie de la philosophie humanitaire et sensible du XVIIIe siècle a gagné le gouvernement et l’administration. L’esprit de Montesquieu et de Voltaire est maître de la place.

Comme le remarque encore M. de Tocqueville, le contrôleur général et les intendans de 1780 ne ressemblent pas à ceux de 1740. L’intendant de 1740 ne s’occupait que de maintenir sa province dans l’obéissance, d’y lever la milice et d’y percevoir la taille. L’autre a la tête remplie de projets de réformes. Sully devient à la mode parmi les administrateurs. On crée partout des routes, des canaux, on encourage l’industrie et l’agriculture. Les jurisconsultes sont portés à l’atténuation des délits et à la modération des peines. La vie humaine est toujours plus respectée. On se préoccupe des souffrances du pauvre ; les violences du fisc sont plus rares. La torture est abolie. Bailly est chargé de faire un rapport sur l’Hôtel-Dieu. Il y présente un lamentable tableau de ces lits où quatre à six malades, atteints de maladies différentes, étaient couchés ensemble, incapables de faire un mouvement. En lisant ce rapport, les beaux yeux de Marie-Antoinette daignèrent se mouiller de larmes. Il est vrai que plusieurs des réformes rêvées demeurent à l’état de projet, et que l’embarras des finances va toujours croissant ; mais on s’aveugle sur les dangers de la situation, on croit à la toute-puissance des remèdes. Vicq d’Azyr célèbre avec effusion cet état des esprits en 1788.