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suivis des chants et des danses de Paul et Virginie… Nous ne manquions point de décorations, d’illuminations et d’orchestre convenables à ce spectacle. Le lieu de la scène était, pour l’ordinaire, au carrefour d’une forêt dont les percées formaient autour de nous plusieurs arcades de feuillage. Nous étions, à leur centre, abrités de la chaleur pendant toute la journée ; mais, quand le soleil était descendu à l’horizon, ses rayons, brisés par les troncs des arbres, divergeaient dans les ombres de la forêt en longues gerbes lumineuses qui produisaient le plus majestueux effet. Quelquefois son disque tout entier paraissait à l’extrémité d’une avenue, et la rendait tout étincelante de lumière. Le feuillage des arbres, éclairés en dessous de ses rayons safranés, brillait des feux de la topaze et de l’émeraude ; leurs troncs mousseux et bruns paraissaient changés en colonnes de bronze antique ; et les oiseaux, déjà retirés en silence sous la sombre feuillée pour y passer la nuit, surpris de revoir une seconde aurore, saluaient tous à la fois l’astre du jour par mille et mille chansons. »

Voici maintenant la description du lever du soleil tirée de l’Émile : « Le lendemain, pour respirer le frais, on retourne au même lieu avant que le ‘soleil se lève. On le voit s’annoncer de loin par les traits de feu qu’il lance au-devant de lui. L’incendie augmente, l’orient paraît tout en flammes : à leur éclat on attend l’astre longtemps avant qu’il se montre ; à chaque instant on croit le voir paraître ; on le voit enfin. Un point brillant part comme un éclair et remplit aussitôt tout l’espace ; le voile des ténèbres s’efface et tombe. L’homme reconnaît son séjour et le trouve embelli. La verdure a pris durant la nuit une vigueur nouvelle ; le jour naissant qui l’éclairé, les premiers rayons qui la dorent, la montrent couverte d’un brillant réseau de rosée, qui réfléchit à l’œil la lumière et les couleurs. Les oiseaux en chœur se réunissent, et saluent de concert le père de la vie ; en ce moment, pas un seul ne se tait ; leur gazouillement, faible encore, est plus lent et plus doux que dans le reste de la journée, il se sent de la langueur d’un paisible réveil. Le concours de tous ces objets porte aux sens une impression de fraîcheur qui semble pénétrer jusqu’à l’âme. Il y a là une demi-heure d’enchantement, auquel nul homme ne résiste. Un spectacle si grand, si beau, si délicieux, n’en laisse aucun de sang-froid. »

La différence est plus marquée encore entre les deux