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et de la barbe imposent le souvenir du mot où Guido Reni note si bien la fougue originale du grand peintre : « Rubens mêle du sang à ses couleurs. » Par exemple, le paysage de ce Coq est bien banal. Est-il d’un disciple ? Mais dans ce cas, Rubens aurait gardé l’œuvre bien longtemps avant d’en faire don à son sauveur.

Le même musée d’Aix-la-Chapelle prête une Chute des Anges peinte à la fin du séjour d’Italie ou peu de temps après le retour à Anvers (Rubens la répéta plus tard, en grand, dans une composition de la Pinacothèque de Munich). Ce n’est pas seulement Michel-Ange qui parle ici ; — que de longues journées le jeune pittore fiammingho passa dans la Sixtine à étudier, à dessiner les figures « absurdes et sublimes » de la Voûte et du Jugement ! — mais aussi la vieille imagination parénétique des sculpteurs septentrionaux et de nos faiseurs de diables, résumés par Jérôme Bosch et son successeur Bruegel l’Ancien. Nul tableau à l’exposition ne frappe plus la foule bénévole que ce sermon de l’Alighieri anversois. Luxurieux, gourmands, adultères, sodomites, criminels de tout genre, se confondent en grappes et en chaînes hardies ; ici, les corps verdâtres tombent du ciel et rougissent en touchant aux lueurs d’enfer ; là, des démons s’accrochent aux longs cheveux dorés d’une femme qui, la tête en bas, traverse toute droite l’espace maudit ; un tigre déchire le flanc d’un glouton ventru ; un démon emporte sur son dos une lourde ribaude quinquagénaire ; des calomniateurs hâves et blêmes, — ce sont des portraits assurément, — claquent des dents aux coins sombres, tandis qu’au centre du gouffre, des démons empourprés et des serpens d’azur s’enroulent autour de la chair à jamais damnée. C’est pittoresque et joyeux comme une vision d’Uylenspiegel ; c’est riche, — mystérieusement, — comme du Gustave Moreau. Et c’est du très bon Rubens.

Rubens revient à Anvers en 1608. Pendant les huit années de son séjour en Italie, il a contrôlé le grand travail d’absorption auquel les Flamands s’appliquaient depuis près d’un siècle. Il était devenu le plus, illustre de nos italianisans. Mais sa nature flamande n’avait point sombré dans cette intimité méridionale, et, à présent, elle allait s’épanouir sans jamais oublier les leçons latines. L’italianisme ne fut point un mal dans nos régions où