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ce van Craesbeek et son maître Adrien Brouwer, — de qui le fameux Fumeur de la collection La Caze est tout justement reproduit sur l’enseigne du cabaret coupe-gorge.

Il me faut résister à la tentation de tracer un portrait de Jean Breughel de Velours, roi des petits maîtres du XVIIe siècle, fils du grand « Bruegel » des paysans et collaborateur de Rubens. Pour avoir ressuscité l’art des miniaturistes brugeois dans ses Paradis terrestres, ses tableaux compliqués des Quatre Élémens, et ses Guirlandes de fleurs où s’immobilisent les mouches en trompe-l’œil, il connut, de son vivant, les plus grands succès. Certes, Jean Breughel est séduisant par sa distinction personnelle, son goût des étoffes rares (d’où cette addition aristocratique à son nom : de Velours). Mais sa peinture méritait-elle pareils honneurs ? Je serais tenté de1 répondre oui, en regardant son Paradis terrestre (collection du prince Doria) où les animaux, — copiés probablement dans la ménagerie des archiducs librement accessible aux grands peintres, — et toutes les plantes imaginables ont de quoi ravir les naturalistes les plus exigeans (j’entends ceux de l’espèce Pline, Buffon, Jean-Jacques, et non les naturalistes du genre Courbet). Rubens, qui jugeait bien ses contemporains, avait pour Jean Breughel une tendresse qui allait jusqu’à la condescendance la plus rare. En rentrant d’Italie, Pierre-Paul fut le secrétaire de Jean de Velours et écrivit pour lui maintes lettres en italien au cardinal Francesco Borromée, le neveu de saint Charles. Il est vrai que Rubens, Anversois pratique, réussit de la sorte à vendre au cardinal Francesco des tableaux qu’il peignait en collaboration avec ledit Jean Breughel. Cette collaboration nous a valu d’exquises madones entourées de fleurs et ce prodigieux chef-d’œuvre Adam et Eve au Paradis terrestre du Mauritshuis. Fait digne de remarque : le grand animateur de la peinture flamande à la domination de qui nul n’échappait et dont il était glorieux de recevoir quelques parcelles d’éloquence et d’héroïsme, Rubens trouvait en Breughel de Velours un tempérament fermé à toute influencée Des deux c’était le peintre de la Descente de Croix et du Martyre de saint Liévin qui devait céder. Collaborateur de Jean Breughel, Pierre-Paul s’exerce à des délicatesses touchantes d’enlumineur et, — faut-il s’étonner des miracles du génie ? — il y réussit. Le précieux petit tableau Jésus chez Marthe et Marie, prêté par la galerie de Dublin, l’atteste. Dirk van Delen y a peint les