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ventes de Londres, ce qui avait adouci à certains jours l’amertume de vingt-deux années d’exil. C’est plus qu’une réunion de livres, c’est une œuvre d’art ennoblie encore par la beauté d’un sentiment moral, par le désir de ne pas laisser ces richesses à l’étranger, de les faire entrer dans une maison française d’où elles ne sortiraient plus. La destination première était naturellement la famille ; mais quand la famille directe s’éteignit, quand les enfans du Duc d’Aumale eurent tous disparu, il ne voulut plus d’autre héritier que la patrie.

La recherche des livres est un plaisir délicat qui procure au prince de grandes jouissances et qui nous a valu des trésors ; mais cette distraction, si attachante et si noble qu’elle soit, ne suffit pas à remplir le vide de la vie. Le Duc d’Aumale s’en rend si bien compte qu’il songe de très bonne heure à entreprendre un travail personnel qui lui rendra moins douloureuse la monotonie des heures d’exil et la tristesse inévitable des pensées. Il hésite entre deux sujets qui le sollicitent également : l’histoire des Condé et l’exposé de ses vues sur l’Algérie. En attendant, il trompe son ennui en réunissant des matériaux.

Cet ancien prix d’histoire du concours général n’oublie pas les leçons qu’il a reçues de ses maîtres, la méthode de travail que lui ont enseignée Duruy et Cuvillier-Fleury : ne rien écrire, ne pas mettre la main à la plume avant de posséder à fond tous les élémens du sujet. La grande loi de la science historique moderne, la recherche du document exact, sera la règle du prince. Il ne s’aventurera sur aucun terrain sans avoir assuré sa marche par des sondages approfondis. S’agit-il du grand Condé, il cherchera avant tout à se procurer les Mémoires de Sirot, qui commandait la réserve à la bataille de Rocroy, et la Relation du marquis de La Moussaye. Il ne lui paraît pas moins nécessaire de faire explorer par des amis le Dépôt de la Guerre, afin de savoir si l’on n’y trouverait pas des recueils de pièces sur les campagnes des armées françaises au milieu du XVIIe siècle, s’il existe pendant cette période des correspondances des généraux en chef avec le secrétaire d’Etat de la Guerre, ou du secrétaire d’Etat de la Guerre avec ces généraux. On lui mande d’Espagne que la correspondance relative au grand Condé et à ses services dans l’armée espagnole a été retirée par ordre de l’empereur Napoléon de la bibliothèque royale et des archives de Simancas. Si, comme on le dit, cette correspondance n’a pas été restituée