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dans le Journal d’un poète, aux années 1831 et 1837. Cette lettre a été trop souvent utilisée pour qu’il y ait lieu d’y insister ici.

Quant à l’étude que Brizeux s’était flatté de mettre au jour, Gustave Planche, un an plus tard, devait l’écrire à sa place. Si l’on veut s’expliquer cette substitution, il suffira de prêter attention à deux événemens.

Treize jours après cette demande de Brizeux à Vigny pour obtenir de lui des documens précis sur son existence d’enfant, d’adolescent et de soldat, l’imprimeur Auffray et le libraire Urbain Canel présentaient au public un mince recueil de vers, qualifié de « roman », antidaté comme pour éviter de vieillir en trois mois, ne portant pas de nom d’auteur, et très discrètement intitulé Marie. Ni le poète, ni ses amis, ni ceux qu’il regardait comme ses maîtres, ne s’attendaient à l’effet de surprise et d’attendrissement produit par ce modeste petit livre. Après l’éblouissement, parfois violent et abusif, des Orientales, après les bizarres émotions produites par les vers laborieusement mélancoliques et, si l’expression est de mise, industrieusement navrés, de Joseph Delorme et des Consolations, cette histoire naïve d’amour, contée non pas avec la simplicité continue et robuste des grands poètes, mais sans affectation, du moins dans les meilleurs endroits, et avec un sentiment fin de la beauté familière et rustique, parut, à ceux que l’abus du romantisme avaient déjà lassés, vraiment neuve et délicieuse. Ce n’était pas une raison pour crier au miracle et proclamer, comme quelqu’un le fit, qu’avant ce roman de Marie, on ne connaissait pas, en vers, l’accent sincère. Mais quoi ! la Poésie reparaissait ici, à moitié dépouillée de ses plus singuliers, de ses plus inutiles ornemens : il n’en fallait pas plus pour que l’on entrevît avec ravissement ce qu’il peut y avoir d’adorable dans son visage.

Le jeune auteur connut toutes les joies. Son humble héroïne fut, dès le premier jour, très en faveur, dans deux ou trois salons. Il pourra écrire, huit mois plus tard, à Vigny : « Il y a chez vous une dame qui, un dimanche soir, pleura beaucoup en parlant de Marie ; qu’elle sache, s’il vous plaît, que j’en suis encore fort attendri. » Et, d’autre part, un mois à peine après l’apparition du livre, Sainte-Beuve en indiquait les qualités délicates, touchantes. Il signalait le charme personnel des impressions directes et plus encore la grâce acquise, c’est-à-dire cette décence, cette vénusté, cette simplicité d’attraits qui lui