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avouez-le, s’il est un vœu sacré pour tout poète du Nord, c’est, après l’estime de sa terre natale, de trouver une gloire au-delà des monts, et d’y faire admirer sa barbarie. »

Trouver une gloire au-delà des monts ! Ce fut bien l’ambition de ce poète armoricain : ce fut aussi, pourrait-on dire, sa faiblesse. En lui, le lettré frotté d’art détournait le poète de son vrai but. L’auteur du roman de Marie avait eu l’intuition de ce qu’il aurait pu et dû faire, de ce qu’un autre, instruit par son exemple, et plus pleinement affranchi de tout préjugé littéraire, accomplira. En employant toutes ses forces et en ne perdant pas le plus petit fil d’eau de ce ruisselet d’invention, qu’il a laissé se répandre et se dessécher dans des directions tout à fait opposées, Brizeux, peut-être, aurait-il mis au jour quelque chose d’assez voisin de la Miréïo de Mistral ? Mais il se figurait être un Celte barbare, et il avait, non seulement au front et sur les lèvres, mais dans le sang et dans les moelles, la morbidesse un peu débile d’un latin. Entre ces deux êtres d’égale beauté, si divers d’humeur et d’aspect, la Muse Toscane à la parole chantante, aux yeux brûlans, et la fée, au regard mélancolique, au sourire mystérieux, de la rivière ou de l’étang breton, il resta l’amant indécis qui recule à l’heure du choix. Il ne dépassa pas vis-à-vis d’elles une sorte de roucoulement de ramier langoureux ; jamais il ne saisit et ne brandit ce thyrse aigu, dont parle le poème lucrétien, pour frapper l’armure au défaut, la faire voler en éclats et réduire à merci le cœur frémissant, mais dompté, de la dédaigneuse déesse.


IV

De retour en Bretagne à la fin du mois d’août, Brizeux reprend ses courses à pied, sac au dos, et fait, — avant Loïc et Lilez, les deux amans du long poème, descriptif (plutôt qu’épique des Bretons, — « son tour du Finistère. » Il passe à Douarnenez, à Plo-Goff, à Brest, à Plougastel, à Morlaix, à Saint-Jean-du-Doigt, aux mines d’Huel-Goat, à Karnak, à Moëland, à Harz-Hannaw, à Kerr-rohel (son orthographe exagère, de parti pris, la rudesse des noms) : il note ce qu’il voit, ce qu’il entend ; mais, trop souvent, il se contentera de versifier, d’amplifier, de diluer ses notes.

Il est bien loin de Paris, le 12 février 1835, c’est-à-dire le