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et communicable parmi les hommes. Certes, le mot n’est pas la pensée ou le sentiment, il n’en est que le symbole : quelle n’est pas cependant son influence sur le sentiment et sur la pensée ! Le mot nous opprime, mais le mot nous affranchit. L’esprit inerte aligne des mots, et les prend pour des idées. L’esprit actif traduit ses idées en mots, pour les arrêter au passage, les définir, les approfondir, en disposer, et les faire, à son gré, pénétrer dans sa substance et s’y muer en forces vivantes. « Penses-y bien et souviens-toi ! » Cette excellente maxime de Leibnitz n’est réalisable que par les mots. Au commencement était la parole. Par elle, l’idée a commencé d’être et d’agir.

C’est pourquoi l’élément positif de la religion fait réellement corps avec elle ; et si, comme tout langage, il doit s’adapter au degré et au genre de culture des esprits auxquels il s’adresse, il est, comme le langage, nécessaire à l’esprit, si celui-ci veut être et agir dans notre monde.

La morale est donc indirectement intéressée dans la partie positive des religions Elle s’y relie, en tant que cette partie vise à traduire le contenu spirituel de la religion, à la fois le plus fidèlement possible, et dans le langage le plus propre à se faire écouter de l’homme actuel.

Quel est donc au juste le rapport de la morale à la religion ?

La religion est l’élan de l’âme qui, se retrempant aux sources de l’être, conçoit un idéal transcendant et acquiert, pour y tendre, des forces dépassant la nature. Elle est essentiellement créatrice de modèles d’existence, et d’énergies capables de les réaliser. Elle se reconnaît à ce signe qu’elle va du devoir au pouvoir, et non du pouvoir au devoir. Nemo ultra posse tenetur : voilà le cri de la pure nature. Ce que tu dois, tu le peux : c’est la bonne nouvelle que nous apporte la religion. L’action de la religion dans une société se traduit par l’apparition de types et d’exemples de perfection qui dépassent les formes données. Et le principe et le moyen de propagation de ces modes d’existence c’est la communion des hommes en Dieu.

La morale est l’effort de la raison pour formuler en termes intellectuels ces créations d’une vie supérieure, et pour en dégager les règles applicables à tous les membres d’une société donnée, et même à tous les hommes sans exception. Si le mot de la religion est : perfection, celui de la morale est : universalité. « Soyez parfaits comme votre père céleste est parfait : »