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s’étaient produites, et, pour mieux marquer son intention de rompre avec cette coutume détestable, il fit poursuivre judiciairement les délateurs qui avaient le plus terrorisé le public sous le précédent règne, Cossutianus Capito, Eprius Marcellus, Suillius. Il fit réhabiliter un certain nombre de leurs victimes exilées ou condamnées injustement. Il pécha même quelquefois par un excès d’indulgence, soustrayant au châtiment des accusés dont l’innocence était au moins douteuse ; mais cette exagération de « clémence, » assez conforme d’ailleurs aux principes moraux de Sénèque, n’était pas inopportune après les exagérations de cruauté dont on avait jusqu’alors souffert.

Par cette sorte de détente, il soulageait surtout l’aristocratie de Rome, mais son zèle bienfaisant ne s’arrêta pas à cette classe privilégiée. Il essaya d’alléger les charges qui pesaient sur tous les sujets de l’empire. Quelquefois ses desseins restèrent à l’état de velléités : s’il rêva de supprimer tous les droits de douane, de péage et d’octroi, il fut forcé de s’incliner devant les nécessités budgétaires que le Sénat lui objecta. Quelquefois aussi les mesures qu’il prit n’eurent pas le résultat qu’il en attendait. Ainsi, il décida un jour que l’impôt de 4 pour 100 sur les ventes d’esclaves serait payé, non plus par l’acheteur, mais par le vendeur : les marchands en furent quittes pour hausser leurs prix en conséquence. Cette petite mésaventure est assez piquante en ce qu’elle prouve que les réformateurs de l’antiquité, — comme parfois ceux de nos jours, — ne connaissaient pas très bien les lois économiques. D’autres dispositions eurent les plus heureux effets : les redevances supplémentaires, que les fermiers de l’impôt avaient greffées sur les taxes légales, furent supprimées ; dans le cas de conflit entre ces fermiers et les contribuables, ce fut la justice ordinaire qui désormais eut à se prononcer, et non plus l’administration financière ; les droits sur les blés furent réduits, et en même temps les armateurs qui faisaient le commerce des denrées alimentaires furent favorisés d’une exonération d’impôt qui devait avoir pour résultat d’abaisser encore le prix de revient des approvisionnemens. En même temps donc que la tyrannie judiciaire, la tyrannie fiscale devenait moins âpre, rendait la vie de tous les citoyens plus facile et plus heureuse.

La philanthropie de Sénèque n’oublia même pas ceux qui se trouvaient aux plus bas degrés de l’édifice social. S’il s’abstint,