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de son fidèle coopérateur Burrhus prête davantage à la discussion. Non qu’on leur ait jamais reproché une complicité directe dans ces assassinats. Ils ne connurent la décision de Néron contre Britannicus qu’une fois l’empoisonnement opéré. Quant à Agrippine, la première fois que Néron voulut s’en débarrasser par la violence, il trouva devant lui la résistance énergique de son ancien précepteur et de son préfet du prétoire ; après beaucoup d’efforts, ils obtinrent que l’impératrice-mère ne fût condamnée qu’après un jugement régulier ; Burrhus fut chargé de ce jugement, et, grâce à lui et à Sénèque, le parricide fut évité ce jour-là. Quatre ans plus tard, ils furent, ou moins hardis, ou moins heureux. Lorsque Néron essaya de faire périr sa mère dans un naufrage machiné d’avance, les mit-il au courant de son projet ? Tacite en doute, et nous n’avons aucune raison de le croire. Après l’échec de cet artifice, quand l’empereur affolé, feignant de craindre (ou peut-être craignant réellement) un retour offensif d’Agrippine, leur avoua tout et leur demanda conseil, ils prononcèrent quelques paroles qu’on put interpréter comme un assentiment au meurtre, sans d’ailleurs vouloir se charger eux-mêmes de l’exécution. Ils ne furent donc, à aucun degré ni à aucun moment, les instigateurs des crimes de Néron : ce point est hors de doute, et leurs adversaires les blâment seulement de s’en être faits, après coup, les approbateurs plus ou moins déclarés. Quand Britannicus fut mort, Sénèque rédigea le message impérial dans lequel Néron exprimait au Sénat sa douleur de ce trépas prématuré, et il consentit à recevoir une partie des biens du jeune prince. De même, en 59, — sans parler de la formule ambiguë par laquelle il souscrivit à la condamnation d’Agrippine, — il ratifia plus explicitement l’acte de l’empereur en composant, cette fois encore, une lettre justificative de Néron au Sénat, et en présentant effrontément la mort d’Agrippine comme un suicide. Bref, en ces deux circonstances critiques, son attitude fut exactement celle que Tacite a définie ailleurs, à propos de son ami Burrhus, par les deux mots célèbres : laudans ac mærens ; il accepta de vanter tout haut les vertus d’un souverain dont il déplorait tout bas les vices, de justifier, en les couvrant de sa grande autorité morale, des actions qu’il savait trop bien criminelles : c’est cette complaisance que l’on a souvent taxée de lâcheté.

Il est bien certain que de pareilles compromissions ont