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des caractères qu’il nous décrit, insiste plus volontiers sur leurs défauts ou leurs ridicules que sur les nobles et touchantes vertus qui s’y mêlent toujours, — achevant par-là de ressembler à l’impitoyable Ivan Tourguenef, comme aussi à la plupart de nos romanciers « réalistes » français, depuis Balzac et Flaubert. Il a beau éprouver et nous communiquer une compassion attendrie pour son jeune « rêveur, » victime misérable de la destinée : nous eussions souhaité d’entrevoir, dans les yeux immobiles du jeune garçon, la lumière d’un rayon fugitif d’espérance ou de fraîche gaîté qui l’eût rendu plus proche de nous et, pour ainsi dire, moins obstinément réfractaire à notre sympathie. Mais avec quelle vigueur son image se détache devant nous, d’un bout à l’autre du petit roman, et combien chacune des phases de ses émotions ou de sa pensée porte profondément l’empreinte de l’antique race de « rêveurs » dont il est issu !

Son histoire n’est d’ailleurs qu’un court épisode, dans l’œuvre déjà singulièrement nombreuse et variée de M. Reymont. Je me rappelle. en particulier, un grand roman intitulé La Terre promise, où l’auteur est parvenu à animer d’une intensité merveilleuse de vie poétique la pointure d’une vaste cité industrielle à demi polonaise et à demi allemande, avec une foule de figures contrastées de fabricans et de contremaîtres, de banquiers millionnaires et d’inventeurs faméliques, de belles jeunes femmes juives et chrétiennes, — toutes figures très habilement revêtues d’une valeur « représentative, » sous l’exemplaire réalité de leur physionomie individuelle. Et plus important encore, tout au moins pour les compatriotes de l’auteur, est une sorte d’immense poème en quatre romans, les Paysans, que seul M. Ladislas Reymont était capable d’écrire : un poème où l’évidente portée symbolique de chacun des personnages ne les empêche pas de garder à nos yeux tout l’attrait d’une vérité concrète infiniment pénétrante, parmi des décors dont l’admirable couleur campagnarde suffirait, à elle seule, pour justifier le succès d’une œuvre que l’opinion polonaise s’accorde désormais à mettre au premier rang de sa riche et glorieuse littérature nationale.

Aussi bien le même mélange d’une inspiration passionnée avec une incomparable fidélité réaliste se retrouve-t-il jusque dans les moindres « nouvelles » de M. Reymont, prêtant à quelques-unes d’entre elles une beauté artistique très originale qui, cette fois, ferait songer plutôt à un Maupassant moins brutal et plus nuancé. Le volume qui contient l’histoire du « rêveur » Joseph Pelka nous offre précisément, en manière d’appendice, une de ces nouvelles, dont aucune analyse ne