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discrédités. Les deux principaux d’entre eux, M. Théotokis et M. Rhallys, se sont entendus pour faire campagne électorale ensemble au lieu de se combattre et pour faire passer leurs candidats dans les circonscriptions où leur union devait déterminer le succès ici de l’un et là de l’autre. Cette tactique leur a d’ailleurs réussi ; s’ils restent d’accord, ils disposeront du groupe le plus important de la Chambre ; toutefois, ils n’y ont pas la majorité et le courant du dehors les abandonne pour aller à M. Venizelos. Celui-ci est, dit-on, un homme intelligent, habile, énergique ; il a donné une assez haute idée de sa valeur sur le théâtre un peu étroit où elle s’est exercée jusqu’à présent ; mais ce n’est pas la même chose d’être chef du gouvernement crétois ou chef du gouvernement hellénique : la seconde de ces fonctions est singulièrement plus difficile à remplir que la première ; qui a pu le moins ne pourra peut-être pas le plus. Si M. Venizelos réfléchit sur sa situation politique, et il le fait certainement, ses réflexions ne doivent pas être toujours couleur de rose. Des popularités comme la sienne sont le plus souvent éphémères. On attend trop de lui pour qu’il puisse réaliser tant d’espérances. S’il ne fait rien, — et que pourra-t-il faire ? — pour amener promptement l’union de la Crète à la Grèce, la déception sera grande et rapide. S’il se croit obligé de faire quelque chose, il lancera son pays dans les aventures. Il ne peut sûrement pas compter sur le concours sincère des hommes politiques qu’il aura évincés du pouvoir et qui ne songeront qu’à se débarrasser de lui, même s’il leur offre des portefeuilles et si ces portefeuilles sont acceptés par eux. Quant à la Porte, elle restera sur l’expectative, mais avec un sentiment qu’on peut deviner. Nous lisions quelque part : Que penserait, que dirait et ferait l’Autriche si le gouvernement italien prenait pour chef un agitateur irrédentiste qui se serait mis à la tête d’une insurrection à Trieste ou dans le Trentin ? Elle penserait sans doute que l’agitateur en question n’a accepté le pouvoir que pour réaliser son projet et elle agirait en conséquence. On ne saurait mieux définir la situation où se trouvera la Porte à l’égard de la Grèce, le jour où celle-ci aura confié ses destinées à M. Venizelos.

Mais les choses tournent parfois tout autrement que les prévisions humaines le font supposer. Il est possible que M. Venizelos ait vraiment un esprit politique et que le pouvoir l’assagisse. Il n’a vu jusqu’ici qu’un côté de la question, le côté crétois, qui est le plus simple ; il verra désormais le côté hellénique et européen, qui est plus compliqué. Il ne faut pas désespérer de l’avenir.