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eussent paru très « logeables, » deux cents ans plus tôt. A Vallery, sur l’emplacement des murailles gothiques partiellement abattues, le maréchal de Saint-André « leva deux corps d’hôtel, » avec un pavillon de très belle ordonnance ; et le reste du vieux château de guerre lui servit de basse-cour.

Cette substitution d’une architecture à l’autre se fît plus ou moins tardivement : la Ferté-Vidame avait encore en 1635 ses deux antiques donjons, lorsque le premier duc de Saint-Simon acquit aux enchères cette maison couverte partie de tuiles et partie de bois, ou bardeaux, dont le mobilier ne valait pas 2 000 francs. Ce « gros château » ne fut démoli qu’après la mort de l’auteur des Mémoires, lorsqu’il passa au financier Jean-Joseph de Laborde, qui le remplaça par une somptueuse maison de plaisance. Samuel Bernard transforma de même le château de Méry-sur-Oise, dont il avait épousé l’héritière, Mme de Saint-Chamans. Parfois quelque vestige du passé restait debout : deux tours à Meilhan, une à Saint-Aignan ou à Mouchy, celle-ci reliée à l’habitation par un couloir.

Le rasement des forteresses privées et des maisons « situées en bonne assiette, » dont l’histoire fait souvent honneur à Richelieu parce qu’il le prescrivit, ne s’effectua nullement en vertu d’un édit royal. L’opération que le ministre de Louis XIII avait confiée à des exempts commissionnés à cet effet, et investis du droit de requérir la force armée, ne porta que sur un nombre tout à fait infime de châteaux. Ce fut par une évolution lente et volontaire, sous l’influence des goûts et des besoins nouveaux, qu’aux maisons à créneaux et à bastions succédèrent les maisons à statues et à terrasses. Jusqu’à la Révolution, le seigneur haut justicier conserva le droit de bâtir sur sa terre une citadelle sans lettres du Roi, et néanmoins, on n’en connaît aucun qui ait usé de cette licence.

Ceux des châteaux forts que personne ne se soucia de restaurer, et qui ne périrent pas de mort violente, tombèrent dans la décrépitude ; « déchus » après quelque siège, ou n’étant plus entretenus, ils moururent pierre à pierre. Les Petites Affiches, sous Louis XV, offraient la terre de Chaumont-sur-Ayre, composée de quatre villages, près de Bar-le-Duc, ajoutant qu’ « un curieux se procurerait, en démolissant le château, des pierres d’une grosseur prodigieuse et susceptibles de toutes sortes d’ornemens, tant pour le dedans que pour le dehors d’une jolie