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habitation, parce que ces pierres, une fois travaillées, forment un marbre de la plus belle espèce. »

Le château de Bonaguil (Lot-et-Garonne), avec donjon de 54 mètres de haut terminé par une plate-forme de 25 mètres de long, fut vendu, peu avant la Révolution, par son dernier seigneur pour 400 francs et deux sacs de noisettes. Les bois de la charpente étaient arrachés, en 1840, par un entrepreneur peu archéologue. « Classées » aujourd’hui, inscrites au bureau d’assistance des Monumens historiques, ces murailles reçoivent une vague aumône qui les empêche de s’effondrer tout à fait. Souvent aux XVIIe et XVIIIe siècles, dans un coin des fiers édifices délabrés dont nul ne prenait plus souci, gîtait quelque famille besoigneuse du cru ; ou bien le fermier du domaine, — c’est le cas à Thouars, siège du duché de La Trémoille, — logeait seul dans le manoir chevaleresque.

Tandis que la terre de Coislin, produisant près de 18 000 francs de rente, est mise en vente en Bretagne, près de Nantes, la marquise de Coislin achète à Paris un hôtel, place Louis XV. Cette prédilection de Paris et de Versailles, que l’on a reprochée avec raison à la noblesse de Cour, ne lui était pas particulière. Les villes de province exerçaient alors la même sorte d’attrait sur la local-gentry d’alentour : « Il y a, dit un Anglais (1763), beaucoup de châteaux habitables dans un rayon de quelques milles autour de Boulogne-sur-Mer, mais la plupart sont vides. On m’a offert une maison complète, en partie meublée, avec un jardin (de 1 hectare 70 ares) en bon état d’entretien et deux prés pour foin ou herbe, » à 1 600 mètres de la ville et ayant une jolie vue sur la mer, pour 880 francs par an. « La noblesse n’a pas le bon sens de résider à la campagne, où elle peut vivre à petits frais et améliorer en même temps son bien. Elle laisse ses châteaux aller en ruines et ses jardins se transformer en pâtures et réside dans des trous obscurs de la haute ville, sans lumière, sans air ni confort. Là ces gens meurent de faim à la maison, afin de paraître bien habillés une fois par semaine, à l’église ou sur le rempart. »

L’absentéisme, comme on l’a nommé, ne fut pourtant pas général, même parmi les courtisans, puisque beaucoup de travaux furent exécutés et beaucoup de reconstructions entreprises au XVIIIe siècle en province ; tel le château de l’Hermitage, près de Condé, dans le Nord, que le duc de Croy avait abattu en 1749,