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l’adversité, l’appelle, dans une fière lettre à Louis XV, « manger neuf millions au service du Roi ; » et Mme de Dino raconte que l’exemple de Choiseul à Chanteloup détermina Napoléon Ier à payer le domaine de Valençay à son ministre Talleyrand, « a(in qu’il y fit de même, invitant les ambassadeurs étrangers dont on serait content. »

L’ombre au tableau, c’est l’égoïsme ingénu de cette société dorée, où les hommes d’Etat croyaient remplir une mission en se logeant le plus superbement possible, mais où personne ne croyait avoir mission d’améliorer le logement de la majorité des Français. Chanteloup, vendu 8 millions de francs au duc de Penthièvre quelques années avant la Révolution, revendu 468 000 francs en 1798 à un chef d’escadron qui ne paya pas, puis 402 000 francs en 1802, démoli enfin en 1823 par des spéculateurs, c’est le symbole des pompes évanouies de l’ancien régime, remplacées par une conception nouvelle de la vie. C’est aussi l’exemple de la valeur fragile des habitations de luxe : sous Louis XIV, la princesse Palatine avait acheté 1 850 000 francs le Raincy, à l’entretien duquel les revenus suffisaient à peine Il fut vendu à sa mort 650 000 francs.


IV

De nouveaux luxes du château moderne étaient les jardins et les parcs, à peu près ignorés du moyen âge, bien qu’ils eussent été connus des anciens. Je ne parle pas des jardins suspendus de Sémiramis et des plantations pharaoniques, ni du parc d’Académos, terrain sec où poussaient seulement des systèmes philosophiques ; mais à Rome l’hortus qui, dans la loi des Douze Tables, avait désigné un petit enclos de légumes, s’appliqua sous les empereurs aux villas de Tibur, à celles de l’Esquilin ou du Pincio.

Les jardinets du XIIIe siècle, tels qu’ils apparaissent sur les miniatures ou qu’ils sont décrits dans les chansons de geste, ne rappellent en rien avec leurs petites plates-bandes et leurs pots de fleurs blancs et rouges, les portiques à colonnes ou les viviers de marbre d’un Mécène ou d’un Lucullus. Les préaux ordonnés dans l’enceinte du château fort sont de minuscules damiers de sable et de gazon, parfois une « roue, » — corbeille ronde, — « habillée » de clisses de bois. Les vergers, hors des