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durant, les susceptibilités du souverain prévalurent sur celles de l’anti-infaillibiliste : et l’on crut que Gasser, ministre de Bavière à Stuttgart, réputé particulariste et « ultramontain, » allait être appelé au pouvoir. Vieux-catholiques et nationaux-libéraux manifestèrent : les fêtes auxquelles donna lieu le quatrième, centenaire de l’université de Munich servirent de prétexte pour de bruyans hommages à Doellinger et pour des harangues fiévreuses sur le grand combat moral qui s’imposait ; et la Nouvelle Presse libre, de Vienne, dont Bismarck savait se servir, fit gronder certaines menaces. Pour éviter le ministère Gasser, qui aurait marqué une réaction contre la politique antireligieuse de Lutz, on prit un biais singulier : la Nouvelle Presse libre accusa Lutz, lui demanda raison de ses faiblesses à l’égard de l’Eglise, de l’insuccès des formules bureaucratiques qu’il opposait à l’ultramontanisme, et lui signifia que, pour conduire cette lutte, ses mains débiles devaient remettre au prince de Bismarck le bâton de commandement. Car la Bavière avait une vocation : elle devait se tenir à l’avant-garde de l’Allemagne, sur le terrain des questions religieuses, comme s’y tenait la Prusse sur le terrain des questions militaires. Avec ses atermoiemens, ses demi-mesures, Lutz avait mal réalisé ce programme. Le journal viennois concluait qu’il n’était pas invraisemblable que la Bavière en fût punie par une nouvelle diminution de son indépendance, et la faute en serait à Lutz, dont la mauvaise politique avait prouvé jusqu’à l’évidence la nécessité d’un Empire unitaire… Neuf mois seulement s’étaient écoulés depuis que Lutz avait parachevé l’unité de l’Empire en mendiant auprès du Parlement une loi pénale dont pourrait s’armer la Bavière contre l’Eglise. On lui déclarait aujourd’hui qu’il n’avait marché ni assez droit ni assez vite ; et le zèle anticatholique de l’ « Empire unitaire, » qu’il avait, en décembre 1871, appelé au secours du ministère bavarois, menaçait de se retourner contre la nation bavaroise, et de la frapper. C’en fut fait du projet de ministère Gasser : le 19 décembre, Pfretzschner était appelé au pouvoir. Il gardait Lutz comme collaborateur ; et les vieux-catholiques, qui lui demandaient sans cesse plus qu’il ne pouvait accorder, et qui avaient dû applaudir à l’invective de la Nouvelle Presse libre, se consolèrent à la pensée que Bismarck, à Munich, continuerait d’être bien servi et bien obéi.