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faire la ligature des vaisseaux d’où le sang de l’État découle dans le membre Église, et par lesquels il lui apporte la force et la vie. Nous voulons progressivement isoler le membre Église, habituer l’État à n’en avoir plus besoin ; l’État ensuite s’apercevra à peine si ce membre est amputé ; la plaie se cautérisera facilement et il ne sera pas question d’hémorragie…


A vrai dire, M. Friedberg confessait que l’autorité sacerdotale avait fréquemment, dans le peuple, des racines plus profondes que celles mêmes de l’Etat ; mais à ses yeux, c’était précisément une raison pour que l’Etat provoquât la judicieuse action des chirurgiens. Comment, en effet, s’étaient-elles affermies, ces racines étrangement robustes, sinon par la collaboration ou tout au moins par la complaisance du pouvoir civil ? Ainsi l’Etat, vis-à-vis de l’Église, avait joué le même rôle d’auxiliaire, sinon même d’architecte, que le patron qui, dans la paroisse, avait construit et entretenait le lieu du culte. Mais ce patron possédait en échange un certain droit d’intervention dans la nomination des curés ; l’Etat, de son côté, devait, d’un bout à l’autre du territoire, posséder un tel droit, et non pas le réclamer de l’Eglise, mais le prendre et l’exercer. Chaque curé, avant de faire acte de pasteur, devait obtenir de l’Etat ce que M. Friedberg appelait la missio civilis : à cette condition seulement, il pourrait remplir son rôle d’éducateur populaire.

Pour la formation de cet éducateur, aussi, l’Etat devait intervenir. Il semblait à M. Friedberg que le futur prêtre, mûrissant en serre chaude, était dressé d’une façon mécanique plutôt qu’il n’était élevé ; que les effets de la science, et l’émancipation spirituelle qui en résulte, lui demeuraient inconnus ; que les matières qu’on lui inculquait asservissaient et opprimaient l’esprit au lieu de l’affranchir ; que « cette culture nationale qui apprend à se sentir membre d’un peuple et non pas seulement d’une caste cosmopolite, » lui demeurait un livre fermé : tant qu’il en serait ainsi, l’Etat ne pourrait jamais trouver dans l’Église un terrain pour ses propres aspirations, et « les marionnettes cléricales, sans volonté propre, pendraient aux fils avec lesquels on les dirigeait de Rome. » Tout cela changerais, si le jeune clerc était soustrait aux effets de la « pédagogie jésuitique, dévastatrice pour le cœur et pour la pensée » ; si dans les universités, ces « pépinières de la vie germanique, » il s’imprégnait d’une science non confessionnelle, et si enfin l’État, au lieu de s’en remettre au verdict des supérieurs ecclésiastiques,