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Bismarck, bien qu’il eût cessé de faire partie du Cabinet prussien, était venu, cependant. Le mariage civil lui était devenu indifférent, quoique naguère il eût promis à Falk d’insister pour cette réforme : c’est apparemment qu’en résistant, sur ce point, aux nationaux-libéraux, il pensait acquérir, pour le ministère, le concours de Blanckenburg. Mais Falk, qui ne comprenait pas qu’on sacrifiât à des considérations politiques des décisions commandées par un certain système doctrinal, souffrait de ces contre-ordres. Il était encore tout surpris, aussi, de l’impétuosité avec laquelle Bismarck avait présenté pour les vieux-catholiques une demande de crédit : « Je ferai moi-même pour vous tout ce que je puis, » dit-il docilement à M. Schulte.

M. Schulte, cependant, n’était ni rassuré ni content ; plus on lui développait les détails de la législation nouvelle, plus il tremblait qu’elle ne fût inefficace. Il craignait qu’avec le temps, si Rome ou les évêques faisaient quelques concessions, on ne laissât dormir ces lois ; une sorte de paix se rétablirait, le gouvernement ne songerait plus à protéger le vieux-catholicisme ; et puis le Pape mourrait, le Concile reculerait dans l’histoire ; on s’accommoderait aux faits acquis, et la réforme de l’Eglise serait différée pour des siècles. M. Schulte trouvait que décidément la Prusse s’y prenait mal, et que Falk ne comprenait ni ce qu’était le vieux-catholicisme, ni quelles conséquences pouvait avoir ce phénomène religieux. Falk se disait, évidemment, que les vieux-catholiques devraient se faire protestans, et que ce serait pour la Réforme une belle victoire sur l’Eglise. Et lorsque M. Schulte apportait son rêve d’une victoire qui pourrait être gagnée sur l’« ultramontanisme » dans le sein même de l’Eglise, Falk demeurait inintelligent ou devenait inattentif.

Un mot de Hübler, aussi, était de nature à frapper M. Schulte : « Il m’est venu dans la tête, lui disait ce fonctionnaire, que Bismarck, en reconnaissant légalement le vieux-catholicisme, pourrait bien avoir cette idée d’amener la Curie, à résipiscence, d’obtenir du Pape et des catholiques qu’ils en finissent avec l’esprit particulariste ; et puis, ce résultat une fois atteint, il vous laisserait tomber. » Hübler devinait que pour le chancelier les théories étaient des armes, et qu’elles n’étaient rien de plus. On était à la veille d’une guerre ouverte, acharnée ; Hübler le savait il en avait le plan ; mais tout le premier, il prêtait à Bismarck l’intention d’un raccommodement futur avec Rome.