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conviction, renier ce qui pour nous est le plus sacré ; et nous comptons que le Très-Haut se tient à nos côtés. »

Schorlemer accusait Bismarck :


Si devant tout le pays, disait-il, on taxe ainsi d’ennemis de l’État les catholiques, qui n’ont jamais quitté le terrain légal, cela s’appelle théoriquement provoquer la guerre civile. Quand M. de Bismarck, à l’époque du conflit, alors qu’il développait ses théories de fer et de sang, lança ce mot qu’il y avait dans l’État trop d’existences catilinaires, il désignait par-là les libéraux ; aujourd’hui, ce sont les membres du Centre qu’il désigne. Nous pensons qu’il y a dans l’État une existence éminemment catilinaire, et qu’il n’y en a qu’une. Faites ces lois draconiennes, je vous dis qu’elles ne seront jamais appliquées ; nous ne nous courberons jamais.


Le protestant Gerlach intervenait : « Il s’agit, proclamait-il, de nous tenir debout, tous ensemble, évangéliques et catholiques, en rangs serrés ; le combat commence. » — « S’il le faut, ripostait Falk, on fera d’autres lois pour contraindre à l’application des premières, j’espère qu’on n’y sera pas forcé. »

Alors Windthorst, avec l’ascendant d’un chef, indiquait à Falk de quelle façon l’on résisterait :


Je ne doute pas, s’écriait-il, que le gouvernement emploie tous les moyens que ces lois lui procurent et que d’autres lois lui ménageront. La position que nous avons à prendre ne donne lieu à aucun doute. Nous ne ferons jamais quelque chose d’illégal pour aller à l’encontre. Au jour où les catholiques se laisseraient entraîner à quelque démarche contraire à la légalité, ils compromettraient la victoire déjà toute proche ; oui, messieurs, je dis toute proche, parce qu’il commence à faire clair dans les esprits. Je connais, dans le parti adverse, certains hommes qui ne désirent rien plus vivement que de voir les catholiques employer des moyens illégaux. Mais il y a une résistance passive, tout à fait justifiée. Celle-là, nous devons la pratiquer, nous le ferons, nous le voulons, et contre elle, tôt ou tard, se brisera tout ce qui est projeté dans ces lois.


Un mot suprême fut dit par Auguste Reichensperger ; il l’empruntait à Edmond de Pressensé, qui, dans la Revue des Deux Mondes, avait taxé de jacobine la politique prussienne. Puis, le silence se fit ; on vota. Quatre jours plus tard, les projets étaient signés par Guillaume, et, sous le nom de lois de Mai, régnaient désormais sur l’Église d’Allemagne. Mais les dictatures que répudient les consciences sont à l’avance vaincues : la parole était aux évêques, la parole était au peuple.


Georges Goyau.