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SUR LA VIA EMILIA


I. — PLAISANCE

J’ai voulu profiter de cet été frais et humide pour revoir l’Emilie et suivre d’un bout à l’autre la Via Emilia. De fréquentes pluies ont laissé la campagne presque verte et l’on peut avancer sur la route deux fois millénaire sans être enveloppé de nuages aveuglans. Parfois même aperçoit-on un filet d’eau dans ces fameux torrens des Apennins, d’ordinaire à sec pendant six mois, dont les lits, plus vastes souvent que ceux de nos grands fleuves, ne peuvent pas servir à faire sécher le linge, suivant l’habituelle plaisanterie, puisqu’il n’est pas possible de trouver une flaque d’eau pour d’abord l’y tremper.

Rien ne saurait donner une plus exacte idée de l’intelligence des Romains que la conception de cette Via Emilia. Pour relier leur capitale aux villes de la Haute Italie et aux pays situés de l’autre côté des Alpes, ils se rendirent immédiatement compte que la ligne droite ne serait point, dans ce cas, le trajet le plus court. En contournant les Apennins, ils évitaient à la fois les difficultés de construction d’une large route carrossable à travers un massif montagneux et le contact permanent avec des populations guerrières qui auraient pu facilement garder les défilés et en barrer l’accès. Ils virent nettement aussi que le point dangereux par où pourrait se produire une invasion des Gaulois, dont le flot submergeait déjà la vallée du Pô, était du côté de l’Adriatique où l’étroite plaine entre la montagne et la mer forme un couloir naturel. Aussi, après avoir