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séduisant. Cinq grandes arcades ogivales composent, au rez-de-chaussée, un imposant vestibule librement ouvert à la foule, où les citoyens, aujourd’hui comme il y a cinq siècles, se promènent par groupes, en discutant passionnément, de leur voix chantante et nuancée, les questions de politique locale. Sur ce soubassement de marbre patiné par le soleil repose le haut du monument, un seul étage tout en briques rouges, couronné d’une corniche de créneaux dentelés. Dans six arcs en plein cintre s’encastrent de gracieuses ouvertures, toutes dissemblables, richement ajourées et décorées de fines colonnettes. Sur les faces latérales, les fenêtres ont plus de fantaisie encore et sont d’un côté surmontées d’une rosace, de l’autre d’une élégante lucarne carrée. Ce palais est peut-être le plus ancien des édifices municipaux qui, au moyen âge, témoignèrent de l’aisance des villes de la Haute-Italie et affirmèrent leur indépendance. Dans cette plaine du Pô, où souffla toujours un air plus vif et plus libre, l’architecture gothique civile s’épanouit à son aise. Les cités, nombreuses et puissantes, rivalisèrent entre elles pour la splendeur de leur maison commune. Plaisance, fière de son passé romain, tint à être parmi les premières.

En sortant du Municipio, j’hésite à aller revoir les autres curiosités de la ville. Certes, le Dôme est une belle église romane, mais j’en sais, sur ma route, d’autres plus belles ; et ce ne sont pas ses fresques du Guerchin ou de Carrache qui me décideront : sur le chemin de Bologne, est-ce utile de rechercher les œuvres de ces peintres dont je me souviens d’avoir eu la satiété jusqu’à la nausée ? La Madonna di Campagna a également de célèbres fresques du Pordenone ; mais valent-elles mieux que celles de la chapelle Malchiostro à Trévise ou que celles de la cathédrale de Crémone qui m’ont paru si déclamatoires à côté des œuvres de Romanino ? Je me rappelle, dans une chapelle de cette petite église de Plaisance, une étrange Nativité de la Vierge, où sainte Anne et la jeune Marie ne sont qu’un prétexte à des attitudes de servantes en robes somptueuses et dont l’art très habile, mais superficiel, est par trop dénué d’émotion… Aussi, par cette douce fin de journée, toute remplie d’allégresse et de clarté, je préfère errer dans les rues de la ville, si pimpantes et si coquettes avec leurs façades de briques roses, et aller jusqu’au bord du fleuve. Mais ici, une cruelle déception m’attend : le vieux pont de bateaux qu’admirèrent