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tant de voyageurs est à moitié démoli ; un nouveau et lourd pont de pierre relie désormais les deux rives du Pô et, pour y accéder, on jette à bas d’antiques maisons et on construit une large avenue banale avec tramway et lampadaires électriques. Tout un côté du grandiose paysage que l’on découvrait autrefois est maintenant barré et gâté par les gigantesques arches de maçonnerie. Hélas ! c’est le problème qui se pose dans toutes les vieilles cités. Mais, en vérité, comment blâmer celles qui essaient de revivre et de secouer leur torpeur, qui veulent suivre la loi du progrès, surtout lorsque, comme ici, rien d’essentiel ne disparaît ?


II. DE PLAISANCE À PARME

Combien il est regrettable qu’à la sortie de Plaisance, par la porte San Lazzaro, un magnifique arc de triomphe ne fasse point pendant à celui qui se dresse à l’autre bout de la Via Emilia, à Rimini ! Après quelques faubourgs qui prolongent un peu la ville, la route se rapproche des Apennins sur lesquels on a une série de beaux coups d’œil. Devant soi, c’est la campagne grasse et riche, à perte de vue. J’ai beau la revoir chaque année, l’étonnante fertilité de cette plaine du Pô ne cesse de m’émerveiller. On avance pour ainsi dire entre une double haie verte que le soleil coupe de raies d’or. C’est une suite interminable d’opulens vergers où les arbres arrêtent le regard. À tue-tête et semblant l’âme même de cette nature lumineuse et gaie, les cigales lancent leur cri strident, les cigales d’Anacréon « qui n’aiment que le chant, ignorent la souffrance et sont presque semblables aux dieux. » Vraiment, par chacun de ses aspects, les plus rians comme les plus sévères, l’Italie, celle que Dante appela déjà


…quella dolce terra
Latina…


nous enchaîne et nous domine, comme une femme ensorceleuse. On a dit : Un ami, s’il laisse voir trop clairement son dessein de nous former, n’éveille aucun sentiment agréable, tandis qu’une femme qui nous forme, en paraissant nous séduire, est adorée comme une créature céleste qui apporte la joie… « C’est dans ce sentiment, ajoute M. Maurice Barrès, que les hommes, recevant