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portrait de l’apôtre. Je ne connais rien qui, dans sa tranquille simplicité, soit plus émouvant que ce visage peint dans une sorte de lunette, au-dessus de la porte qui conduit au cloître capitulaire. L’artiste a voulu représenter Saint Jean à Patmos. Le disciple bien-aimé du Christ est plus jeune qu’il ne l’était lorsqu’il se retira dans cette île ; mais le Corrège a toujours aimé peindre la grâce juvénile, celle qui se rapproche le plus de la beauté féminine. Le visage de saint Jean est comme illuminé par l’éblouissante apparition ; on sent l’évangéliste transfiguré, extasié, obéissant presque inconsciemment au commandement divin. C’est le vrai Voyant. Ses yeux ardens, non d’halluciné mais de visionnaire, sondent l’infini. Altius Dei patefecit arcana, comme l’a inscrit le Corrège. Tout mystère est aboli : saint Jean voit les vérités éternelles et pénètre jusqu’à l’essence des choses. Il regarde sans effroi l’archange de feu qui tient le livre aux sept sceaux et lui révèle les secrets suprêmes. Comme s’il voulait la tendre à son maître pour qu’il puisse transcrire aussitôt les effrayantes visions de l’Apocalypse, l’aigle symbolique arrache une plume à son aile. L’intensité du coloris, la transparence du clair-obscur donnent à cette fresque l’aspect d’un tableau à l’huile. Le temps et quelques retouches l’ont un peu détériorée ; mais, malgré tout, elle produit encore une impression profonde et il faut pour m’arracher à cette contemplation que le sacristain vienne m’importuner de ses commentaires et allumer la rampe électrique dont une admiration sacrilège n’a pas craint de l’entourer.

Au moins, dans la petite salle du musée, puis-je regarder en paix la Madone de saint Jérôme. Des chefs-d’œuvre du peintre, c’est bien le plus parfait et le plus complet. Toutes ses qualités sont ici poussées à leur plus haute expression : jamais la magie de la lumière ne pourra aller plus loin. Les ombres mêmes sont colorées. Et quel pinceau moelleux, à la fois léger et gras, pour rendre la transparence de l’épiderme et le velouté des chairs ! On comprend l’exclamation de Vasari qui déclare ce tableau colorito di maniera meravigliosa e stupenda. On oublie les défauts qu’on peut trouver au saint Jérôme et à son lion un peu ridicule, pour ne voir que le groupe central inimitable et inoubliable : la Vierge, le Bambino, l’ange et surtout la Madeleine, la plus douce, la plus exquise des figures que nous ait laissées le peintre de la grâce féminine. Jamais une attitude n’eut