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Je ne sais si Stendhal alla souvent à Parme et bien des invraisemblances dans son roman peuvent faire croire que non ; ce qui est certain, c’est qu’il n’oublia jamais le Corrège. « Qui n’a pas vu ses œuvres, dit-il, ignore tout le pouvoir de la peinture. Les figures de Raphaël ont pour rivales les statues antiques. Comme l’amour féminin n’existait pas dans l’antiquité, le Corrège est sans rival. Mais, pour être digne de le comprendre, il faut s’être donné des ridicules au service de cette passion. » Et voilà le secret de son admiration. S’il est vrai que, pour comprendre le Corrège, il faut s’être donné des ridicules au service de l’amour, nul n’était plus qualifié que Beyle. Quand il passa pour la première fois à Panne, le 19 décembre 1816, et qu’il y vit les « fresques sublimes », il arrivait de Milan, les yeux, le cœur, l’esprit tout pleins de l’une des femmes qu’il a le plus aimées et qui jouèrent le plus grand rôle dans son existence. Il ne songeait qu’à cette Métilde Viscontini qui lui avait paru « ressembler en beau à la charmante Hérodiade de Léonard de Vinci. » Se doutait-il alors que, pendant neuf ans, elle serait la plus ardente passion de sa vie, que, pendant neuf ans, il mendierait son amour comme un affamé du pain et qu’elle mourrait sans qu’il ait pu la posséder ? Peut-être, inconsciemment, avait-il de tout cela une vague et secrète appréhension quand il déclarait, avec un amer regret « qu’il n’avait jamais eu le talent de séduire qu’envers les femmes qu’il n’aimait pas du tout. » Jamais, en tout cas, ne s’effaça chez lui le souvenir des vierges d’Allegri. Le 6 mai 1817, il fit le voyage de Correggio pour visiter la patrie du grand homme ; il fut heureux d’y rencontrer « ses madones avec leurs beaux yeux si tendres qui courent les rues déguisées en paysannes. » Et je crois bien que tout en évoquant les rives langoureuses du lac de Côme, il revoyait la grâce des héroïnes corrégiennes lorsqu’il trouvait des accens si émouvans pour rendre l’exaltation qui agitait la Sanseverina.

D’ailleurs, où cultiver mieux tes passions de l’amour que dans cette ville de Parme entourée de beaux remparts ombragés d’où l’on domine un immense horizon qui appelle le rêve et d’où la pensée, que n’arrête nulle barrière, peut s’élancer vers l’infini ? Où songer mieux à la volupté que dans ce parc de la citadelle où fut enfermé Fabrice del Dongo et, mieux encore, sous les vieux marronniers du jardin de l’ancien palais