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ducal ? Comme il vient vite aux lèvres le vers divin de Dante :


Tutti li miei pensier parlan d’amore !


Et comme elle est douce cette soirée d’été finissant dans les allées désertes ! Sur les gazons, fleuris au printemps de paies violettes, les grandes feuilles mortes découpées mettent un vêtement de rouille où luisent, par places, les taches de feu de l’oblique soleil. Perpétuant les deuils anciens, des glycines éveillent le souvenir des hôtes dont le souvenir rôde sous les bosquets. Au milieu d’une île qu’entoure un lac artificiel, s’élève un petit temple d’Arcadie chargé de nous rappeler, lui aussi, la fragilité des jours heureux. Ah ! pourquoi donc, maintenant, ne puis-je chasser de ma mémoire les vers de Laurent de Médicis, ce refrain du Triomphe de Bacchus et d’Ariane :


Quanto è bella giovinezza,
Che si fugge tuttavia !
Chi vuol esser lieto, sia :
Di doman non c’è certezza !


Est-ce la tristesse du soir tombant ? Est-ce la langueur de l’automne proche qui fait se serrer plus fort les mains ? Mais, penché sur le lac, me voici rassuré. L’eau calme m’a renvoyé l’image tranquille du bonheur.


IV. — MODÈNE

Après avoir traversé la pauvre Reggio, puis, sur un beau pont de pierre, la Secchia qui, même cette année, mérite bien son nom, on éprouve comme une joie physique lorsqu’on découvre les clochers de Modène et surtout lorsque, sous la voûte de la porte Sant’ Agostino, on aperçoit les maisons claires qui bordent de chaque côté la Via Emilia. Peu de cités ont un abord plus séduisant. Des façades peintes, de grandes arcades avenantes, des rues propres et larges où circule une foule animée lui donnent l’aspect d’une ville plus importante. Certes, le décor parfois est un peu théâtral et l’on sent déjà l’approche de Bologne ; mais, en somme, c’est bien la physionomie agréable et l’atmosphère aimable dont j’avais gardé le souvenir. À cette heureuse impression s’ajoute, cette fois, la tranquillité d’esprit du voyageur qui sait exactement ce qu’il veut revoir et qui, en dehors de ces visites déjà fixées, pourra flâner tout à son aise