Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 59.djvu/628

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

maisons pour dégager les places et les artères centrales. Presque toutes les rues ont conservé leurs arcades irrégulières et gardé leur imprévu ; rien n’est plus varié que l’amusante fantaisie des portiques sous lesquels on peut parcourir la ville presque entièrement à couvert.

Une autre impression que donne Bologne est que tout y est fait pour le décor. La plupart des habitations ont des apparences de palais, avec entrées somptueuses, colonnades, cours intérieures, terrasses et galeries. Les façades visent à l’effet. Nulle part également, on ne sent plus de recherche dans la toilette. Les jeunes gens et les officiers qui, pendant des heures, paradent sur la Piazza del Nettuno, ont apporté à leur mise les soins les plus méticuleux, non sans parfois un peu de mauvais goût. L’élégance des Bolonaises avait déjà séduit le président de Brosses. « Elles se mettent à la française, dit-il, et mieux que nulle part ailleurs. On leur envoie journellement de grandes poupées vêtues de pied en cap, à la dernière mode, et elles ne portent point de babioles qu’elles ne les fassent venir de Paris. » Dans aucune ville d’Italie, les cafés ne s’étalent autant jusqu’au milieu des voies les plus passagères. Les salles de restaurant et de coiffure s’ouvrent à même les rues ; de grandes glaces permettent, en quelque sorte, de manger et de se faire raser en public. Vraiment les Bolonais sont bien les hommes de leur peinture, et leur vie extérieure ressemble un peu aux toiles de leur musée.

J’avais eu l’intention de ne pas aller, cette année, à l’Académie des Beaux-Arts, me souvenant de nombreuses visites d’où j’étais sorti lassé et mécontent. Pourtant, je voudrais, devant les œuvres mêmes, me demander pourquoi ces peintres ont été si longtemps mis au rang des plus grands artistes.

Comment tout d’abord l’école de peinture bolonaise, jusque-là obscure et presque inexistante, prit tout à coup la première place à la fin du XVIe siècle, c’est ce que je n’ai pas à rappeler aux lecteurs de cette Revue, qui ont lu, dans la livraison du 1er janvier dernier, le bel article de M. Marcel Reymond. Il a clairement montré la nécessité qu’il y avait alors d’une rénovation de l’art religieux et l’impuissance des autres écoles à réaliser la réforme. Bologne, au contraire, à égale distance de la Renaissance florentine et du sensualisme vénitien, assez porche de Milan et de Parme pour recueillir les grandes traditions de Léonard et du Corrège, était la ville universitaire et