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imposante, avec ses façades monumentales, son palais municipal, l’église de San Mercuriale et un campanile d’aspect vénitien. C’est la cité du bon peintre Melozzo ; malheureusement, il n’y a rien laissé : c’est à peine si, au musée, on peut voir une enseigne de pharmacien, le Pestapepe, représentant un apprenti pilant une drogue dans un mortier.

Au sortir de la ville, pendant plusieurs kilomètres, la route est ombragée par une double file de peupliers, jusqu’au pont sur le Ronco, absolument à sec. Les torrens qui, maintenant plus courts, vont directement à l’Adriatique, sont encore plus terribles que les précédens. Aux saisons des pluies et à la fonte des neiges, ils deviennent en quelques heures des fleuves impétueux renversant tout sur leur passage. L’homme n’a pu encore les vaincre. Un grand projet consiste à créer, au pied même des Apennins et tout le long de la chaîne, un large canal qui recueillerait les eaux à leur arrivée dans la plaine et les emporterait à la mer ; mais une telle entreprise présente les plus sérieuses difficultés et entraînerait une dépense formidable ; il faudrait, en effet, creuser une très vaste et très profonde tranchée pour la quantité d’eau qui dévale parfois en même temps de toutes les gorges de la montagne. En revanche, l’été, l’eau est parfois si rare dans la contrée qu’on doit l’amener en wagon-citerne et la vendre au litre.

Pourtant ces torrens ne furent pas uniquement néfastes ; avec la terre arrachée aux Apennins, ils comblèrent peu à peu les marais qui couvraient jadis une grande partie de la Romagne. Ils furent les agens les plus actifs du colmatage auquel travaillèrent les Romains qui nous ont laissé, ici encore, une nouvelle preuve de leur génie. Quand on regarde les champs à gauche de la route, en sortant de Faenza, on remarque que les chemins : et les fossés qui les séparent sont tracés équidistans et parallèles, perpendiculairement à la Via Emilia. La campagne forme comme un gigantesque damier dont les cases, distribuées en rectangles réguliers, correspondent aux parcelles du cadastre romain. Cette disposition, visible en quelques endroits avant Bologne, l’est surtout près de Forli et de Césène, sauf aux environs des cours d’eau, à cause des inondations et des érosions continuelles. C’est Marcus Æmilius Scaurus qui, en l’an 115 avant Jésus-Christ, commença l’assainissement de cette plaine, en creusant les fossés qui devaient drainer l’eau dans le Pô ou