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Monatshefte consacré au Congrès de Copenhague[1] et les correspondances du Vorwaerts[2], moniteur officiel de la social-démocratie.

Les forces électorales du socialisme peuvent être évaluées à huit millions de volans, pour un ensemble de pays dont la population dépasse 300 millions d’habitans. Mais parmi ces électeurs, un grand nombre ne sont que des alliés de circonstance, qui vont au socialisme comme à une formule extrême de mécontentement. Les organisations socialistes stables ne comptent guère plus de trois millions de membres consciens, enrégimentés de façon durable, endoctrinés, cotisans. Sans doute il faut tenir compte non seulement de la quantité, mais de la qualité de ce levain susceptible de soulever des masses ouvrières et paysannes.

Ces partis se répartissent d’une façon très inégale et leur action ne présente rien d’uniforme. D’après l’évolution prescrite au socialisme international par Karl Marx, l’extension des organisations socialistes serait appelée à suivre pas à pas le développement de la grande industrie. Les Etats-Unis avec leurs énormes, leurs innombrables usines devraient donc opposer à la monstrueuse concentration des trusts, que Karl Marx lui-même ne pouvait imaginer à ce degré, un prolétariat paupérisé de plus en plus menaçant. Or c’est le phénomène inverse qui se produit sous nos yeux. Dans la plus capitaliste des républiques, les progrès du socialisme sont aussi lents que pénibles. Il faut d’abord, nous dit-on, en chercher la cause dans ce fait que l’essor industriel y est trop récent. A une distance de quelques générations, l’Amérique du Nord était encore un pays agraire. Le capitalisme n’a pas eu le temps de porter ses fruits. Les fortunes, même considérables, y sont très instables : elles se font et se défont avec une telle rapidité que les ouvriers, dont la condition est d’ailleurs si florissante, se refusent à comprendre la théorie marxiste de la fatalité de la misère en régime capitaliste. Le chef d’une des plus grandes unions américaines, Gompers, est venu expliquer aux socialistes et aux syndicalistes européens, dont plusieurs l’ont qualifié de traître, à quel point les ouvriers américains étaient réfractaires à la lutte de classes et favorables aux compromis. Joignez à cela le dégoût

  1. Août 1910.
  2. Numéro du 28 août 1910.