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qu’inspirent, en Amérique, les politiciens de profession, l’absence d’intellectuels et de déclassés de la bourgeoisie, l’établissement de deux grands partis qui ne laissent point place à un troisième, enfin, 9 millions de nègres, 10 millions d’étrangers, d’innombrables juifs, une multiplicité de langues, une variété de mœurs auxquelles la propagande des formules du socialisme moderne ne saurait s’appliquer.

Si du plus jeune et du plus vigoureux pays industriel, nous passons au plus ancien, l’Angleterre où Marx, en écrivant le Capital, puisait ses exemples de l’exploitation, de la paupérisation croissante des masses, là encore ses prévisions ne se sont pas réalisées. Révolutionnaire au temps du chartisme, l’aristocratie de la classe ouvrière s’est élevée à la grande fortune de ses Unions sans le secours des socialistes. Tous les partis en Angleterre sont réformistes. C’est aux conservateurs qu’est due la loi sur les accidens du travail, aux libéraux celle des retraites ouvrières. Sans doute l’esprit socialiste pénètre par infiltration, endosmose, la législation anglaise, mais il n’y prend point la forme d’une aspiration conquérante du prolétariat à s’emparer des pouvoirs publics, à fonder la République sociale. Les Anglais, dans la grande majorité, sont loyalistes, conservateurs au fond de l’âme. Les socialistes existent sans doute, mais à l’état sporadique. Les partis qui se sont agglomérés, le parti indépendant du travail, surtout le parti social-démocrate sont en baisse. Ils n’ont pu faire passer un seul représentant à la Chambre des Communes. Les ouvriers forment un parti du travail pur et simple récemment fortifié par l’accession des mineurs, et qui compte quarante députés à Westminster ; nombre de socialistes y adhèrent, d’autres lui sont hostiles, mais le parti du travail n’arbore pas le drapeau de la lutte de classes, comprise comme un combat d’extermination. Il est l’allié des libéraux.

A l’autre extrémité de l’Europe, l’immense Empire russe semblait, en 1905 et 1906, à la veille de la révolution prolétarienne. Messagers de la bonne nouvelle, les Russes accouraient en foule au Congrès d’Amsterdam, 300 délégués se pressaient à leur propre congrès. Depuis, ils n’ont pu réunir que des conférences. Les syndicats ouvriers, qui s’élevaient en 1907 à 246 272 membres, sont descendus aujourd’hui à 37 000. Les coopératives ont périclité, moins par manque de ressources que