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querelle si aiguë qu’on pouvait craindre qu’elle ne se terminât par une rupture.

La social-démocratie autrichienne et le bureau socialiste international ont permis à la Bohême de se constituer depuis quelques années en un parti autonome comme la Hongrie. Mais, tandis que les groupes politiques s’organisaient ainsi d’une manière indépendante, les syndicats restaient adhérens au secrétariat général de Vienne. Les Tchèques slaves ont décidé de former une organisation syndicale spéciale, de même qu’ils l’ont obtenue pour la politique. Ils s’appuient sur la décision de Stuttgart qui vise le parallélisme et l’entente du mouvement politique et du mouvement syndical. Puisque les socialistes tchèques sont indépendans politiquement, ils doivent l’être syndicalement.

C’est la raison de façade. En fait, cette résolution leur est inspirée par l’hostilité de race. Prague donne au voyageur le spectacle de deux âmes ennemies dans une même cité. Entrez-vous dans un café, un magasin tchèques, si vous parlez allemand vous vous exposez à un affront. Afin de prévenir les batailles, les jardins où les enfans jouent et s’ébattent sont distincts et éloignés. On prétend même que les fous tudesques et les fous slaves doivent être séparés dans les asiles. Quoi d’étonnant s’il en va de même pour les socialistes dans les syndicats ?

À Prague, les ouvriers tchèques ont donc fondé une union centrale tchéko-slave. Ils ne veulent plus supporter dans leur section ceux de leurs camarades qui restent encore liés à l’Union centrale de Vienne, affiliée elle-même à l’Internationale. Les Austro-Allemands protestent avec la dernière énergie contre ce séparatisme syndical. Ils font tous leurs efforts pour en prévenir les conséquences désastreuses. A Vienne, à Budapesth, comme à Prague et dans toutes les usines de l’Empire, il y a des ouvriers de toutes nationalités. Si les Tchèques persévéraient dans leur scission, chaque usine contiendrait plusieurs syndicats nationaux, antipathiques, hostiles les uns aux autres, et la lutte de races briserait, avec l’unité ouvrière, l’élan de la lutte de classes.

Malgré son habileté consommée, son autorité personnelle, le chef du parti socialiste autrichien, Adler, un sémite, comme presque tous les dirigeans de la social-démocratie autrichienne, se trouve ainsi aux prises avec les pires difficultés. Il était soutenu