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de bête blessée et aux abois. Si Guillaume II n’existait pas, il faudrait l’inventer : la social-démocratie n’avait pas de meilleur allié, de plus précieux propagandiste que « ce Monsieur ! » En terminant, le délégué allemand a eu la lourdeur d’invoquer l’anniversaire de Sedan comme dernier argument contre les luttes fratricides, ce qui a froissé les Français.

Après lui, Vaillant et Keir Hardie sont venus défendre leur texte additionnel, en priant le Congrès de déclarer qu’il considérait (ce qui n’avait rien d’impératif) comme particulièrement efficace la grève générale, surtout dans les industries qui fournissent à la guerre ses instrumens (armes, munitions, transports), ainsi que « l’agitation et l’action populaire sous ses formes les plus actives, autrement dit l’insurrection. »

Français et Anglais prétendaient ainsi obliger les Allemands à sortir de la vague déclaration de Stuttgart. M. Vandervelde déclara qu’il s’abstenait pour ne pas gêner les Allemands, mais qu’il était de cœur avec Vaillant et Keir Hardie. Les Allemands allaient être mis en déroute par le vote du Congrès, lorsque leur allié autrichien, le rusé docteur Adler, Reineke Fuchs, maître Renard, vint à leur secours en proposant que l’amendement soit renvoyé au bureau international, afin d’y être étudié, scruté, enquêté. Adler avait été assez habile pour obtenir de Keir Hardie, prédicant écossais, doué de plus de conviction que de finesse, sa signature au bas du sous-amendement de renvoi. La défection de Keir Hardie obligea Vaillant à le suivre, et le Congrès ratifia à, l’unanimité la savante manœuvre d’Adler.

L’obstiné Vaillant, l’héritier de Blanqui, le vétéran de la Commune, restait quand même le triomphateur : la grève générale était prise en considération par les Allemands, et cela malgré eux. L’hégémonie allemande, déjà entamée à Stuttgart, subissait un nouvel échec. Les Allemands ont été encore battus lorsqu’il s’est agi de fixer la date du prochain Congrès de Vienne. Estimant ces congrès peu utiles, nuisibles même à leur politique intérieure, si la direction leur échappait, ils proposaient d’établir une période quinquennale entre les congrès internationaux. La tradition de trois ans fut maintenue contre eux.

Une dernière question[1] proposée au Congrès, la plus

  1. Les autres questions inscrites au programme du Congrès ont été à peine discutées. La solidarité internationale ne peut être soumise à l’impératif catégorique. Seuls les Allemands sont assez riches et assez généreux pour la pratiquer. Durant la grève de Suède, ils envoyèrent à Stockholm un million de marks. Les Belges, les Trade-Unions dont les caisses sont si bien fournies vinrent à peine au secours de leurs camarades. Le Suédois Branting leur en fit un amer reproche. L’abolition de la peine de mort visait surtout le Tsar et le gouvernement russe, auxquels le Congrès adressa les plus violentes flétrissures, ainsi qu’à l’Argentine, au Japon, à l’Espagne, pays de réaction où les socialistes sont traqués, persécutés. A propos du chômage et de la législation ouvrière, le Congrès vota des résolutions au pas de course.