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feu dans un bassin de fer… C’est dans ce clocher que sonne trois jours durant le tocsin révolutionnaire qui déclare la patrie en danger, ordonne la levée en masse et jette vers les lignes de Wissembourg contre l’ennemi accouru de par delà le Rhin tous les Alsaciens en état de se battre… C’est de la tour que le gardien annonce aux habitans l’approche d’un régiment rentrant victorieux d’Italie ou de Crimée.

Tout près, en retrait de la place, la police loge ses bureaux dans une maison dont on a pu dire que la Renaissance allemande n’avait rien produit d’aussi parfait. Sept baies cintrées, encadrées par des colonnettes délicates, sous lesquelles se gravent en relief des figures de l’époque et des écussons à monogrammes, soutiennent l’entablement supérieur d’un balcon couvert, en encorbellement, d’une loggia. Cette loggia repose sur des pierres taillées en forme de console, tandis que le couronnement intérieur du dôme porte les attributs écussonnés des dix anciennes corporations de la cité. C’est de là qu’étaient proclamés les lois et règlemens et de là que prêtaient serment au peuple assemblé le Magistrat et les bourgeois ; c’est là que se massèrent le 23 décembre 1813 les éclaireurs de l’invasion, cavaliers allemands et russes que les dragons du général Milhaud devaient sabrer le lendemain sur la route de Sainte-Croix. Au-dessous du balcon le portail, où tout s’accorde avec la loggia, s’ouvre par un large cintre ; des colonnettes cannelées le flanquent de chaque côté, montant de piédestaux qu’orne une tête de lion ; au-dessus du portail, entre le portail et la loggia, un buste d’homme sort d’un enroulement fouillé avec un goût exquis.

Non loin, sur une petite place, l’église des Dominicains, bien qu’entièrement construite dans le style du XIIIe siècle, produit une impression moins sévère que l’église paroissiale. Ce vaste vaisseau est sans doute d’une architecture grave, mais la petite place, plantée de tilleuls, sur laquelle elle s’élève, a plus d’intimité provinciale que la place Saint-Martin. Un silence plein de douceur, l’ombre égale des tilleuls, les grands toits inclinés des maisons, de vieilles femmes qui vont prier, des enfans qui jouent contre les murs et dont les cris ne font pas de bruit, la voix harmonieuse de l’orgue qui de la nef se répand au dehors ; il ne semble pas qu’on puisse rien imaginer qui exprime mieux le calme et la piété d’un coin de province. Et pourtant, cette