Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 59.djvu/725

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

difficile. C’est alors qu’est apparu sir Ernest Cassel, financier anglais en rapports étroits avec la haute banque allemande, créateur à Constantinople d’une banque dite Nationale destinée à faire concurrence à la Banque ottomane, vieil établissement anglo-français. Sir Ernest Cassel s’est chargé de réaliser l’emprunt turc avec ses moyens propres. Sont-ils suffisans pour cela ? Certaines entreprises du même genre dont il s’était chargé autrefois et qu’il n’a pas toujours réussi à mener brillamment à bon terme, permettent d’en douter ; mais il espérait sans doute passer en sous-main une partie de l’emprunt aux banquiers français qui auraient bien voulu s’y prêter et par-là se tirer de la difficulté. Quoi qu’il en soit, son intervention a produit au premier abord quelque émotion parce que ceux qui ne sont pas au courant de la politique parfaitement loyale et ferme du gouvernement anglais à notre égard ont pu se demander s’il n’était pour rien dans l’affaire. Depuis quelque temps, la presse allemande répétait avec affectation qu’il y avait du refroidissement entre Londres et Paris. Si on l’a cru, l’initiative de sir Ernest Cassel aura servi à prouver le contraire, car elle a été hautement désavouée et blâmée par le Foreign Office, qui n’a pas voulu laisser le moindre doute planer sur son absolue correction. Au moment où nous écrivons, les choses en sont là. Tout le monde considère la tentative de sir E. Cassel, s’il y persévère, comme très compromise. Au surplus, que nous importe ? Si la Jeune-Turquie trouve de l’argent hors de France, tant mieux pour elle. Nous avons déjà 75 pour 100 de la dette ottomane à notre charge : peut-être est-ce assez.

L’opinion française, à en juger par la quasi-unanimité des journaux, approuve l’attitude prise par le gouvernement de la République et l’appuie énergiquement. Il ne s’agit pas ici seulement de la Turquie. Depuis assez longtemps déjà, à propos d’autres emprunts faits par d’autres pays, l’opinion se demandait avec une sourde inquiétude s’il n’y avait pas quelque excès dans la facilité et la complaisance un peu débonnaires avec lesquelles notre épargne était mise au service de tout le monde indistinctement. Un jour ou l’autre, ce sentiment devait se manifester : l’occasion s’est présentée, elle a été saisie. Il aurait fallu, pour qu’il en fût autrement, que la Jeune-Turquie eût continué de nous témoigner les sympathies et la confiance des premiers jours ; mais, par une sorte d’entraînement en sens opposé dont le secret nous échappe, c’est justement le contraire qui se produit. La Jeune-Turquie semble s’appliquer à multiplier contre elle nos sujets de plaintes. Tantôt elle s’obstine à considérer comme sujets