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faite : le chef semblait d’or, la poitrine et les bras d’argent, le ventre de cristal, les jambes de fer, de haute taille, d’une construction savante, de proportions régulières. Cependant cette Dame, d’une beauté admirable, n’était couverte que d’un manteau sordide. » Frère Pacifique y reconnaît l’emblème de l’âme, de la belle âme de saint François : la tête d’or, c’est la sagesse, la poitrine d’argent l’éloquence, le ventre de cristal par la sobriété et la chasteté, les jambes de fer la persévérance, le manteau usé la loque méprisable du corps dont cette âme est passagèrement vêtue. On retrouvera longtemps, chez les peintres italiens, même en pleine renaissance classique, de pareilles allégories d’un symbolisme parfois plus compliqué encore par les rêveries néo-platoniciennes. Frère Pacifique et les autres disciples de François sont d’ailleurs eux-mêmes des visionnaires plus exaltés et naïfs que leur maître ; les artistes leur devront quelques-unes des scènes les plus populaires de l’épopée franciscaine, notamment les scènes miraculeuses, dans lesquelles, de son vivant, le Saint modeste se déchargeait volontiers du rôle actif, humblement agenouillé et priant derrière eux, comme, par exemple, dans l’expulsion des démons d’Arezzo dont l’exorciste est Frère Sylvestre.

L’une des visions dernières du saint homme, la vision suprême, la vision fameuse, celle qui clôt le drame de sa passion et lui imprime les stigmates, se précise, chez le chroniqueur, avec une exactitude de formes et une splendeur de coloris, bien faites pour inspirer des dessinateurs et des peintres. « Ce matin-là, il vit descendre du ciel un séraphin avec ses ailes resplendissantes et enflammées, qui, d’un vol rapide, s’approcha de lui, si près qu’il y put clairement reconnaître une image d’homme crucifié. Ses ailes étaient disposées de telle sorte, que deux s’étendaient au-dessus de la tête, deux se déployaient pour voler, et les deux autres couvraient tout le corps. Ce que voyant, saint François, fortement épouvanté, se sentit plein à la fois d’allégresse, de douleur, d’admiration… En ce moment, toute la montagne semblait embrasée de flammes splendides illuminant de leurs reflets tous les pics et vallées d’alentour, comme si le soleil était descendu sur terre. Des bergers, qui veillaient dans les environs, ont affirmé que cette illumination avait duré une heure et plus. Et comme la lumière pénétrait, au loin, par les fenêtres, dans les maisons, des muletiers, sur la route de