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architectures ou ses paysages, donne une expression plus ou moins vive, plus ou moins intelligente à ses figures, et mène son coup de brosse avec plus ou moins d’ampleur, d’intensité ou de mollesse. Mais, n’est-ce pas le cas de toutes les œuvres monumentales et collectives à toutes les époques ? Le mérite des maîtres puissans du Moyen âge et de la Renaissance, est d’avoir su associer à leurs vastes entreprises d’autres maîtres assez intelligens pour les comprendre, assez expérimentés pour les traduire, sans les asservir à une contrefaçon humiliante, en utilisant leurs qualités personnelles, comme un bon maestro symphoniste, dirigeant son orchestre, utilise les virtuosités spéciales de ses instrumentistes. Le maestro n’en reste pas moins le maestro, l’œuvre n’en reste pas moins la sienne. Nous possédons les noms des sculpteurs qui travaillèrent à Sienne et à Pérouse avec Nicola Pisano, ceux des peintres qui assistèrent Raphaël dans les Chambres du Vatican, et de ceux que s’adjoignit Rubens pour exécuter les tableaux de la galerie de Médicis. La plupart étaient eux-mêmes des artistes supérieurs ou estimables, assez personnels et assez libres pour qu’on puisse reconnaître parfois leur travail particulier dans l’œuvre commune. Pourquoi ne pas accepter à Assise ce qu’on doit accepter à Rome, à Florence, à Venise, à Anvers, partout et en tout temps ?

Les fresques de Giotto, depuis quelques années, ont été ana lysées, en détail, par un grand nombre de critiques et hypercritiques. Il y a profit, assurément, à suivre ces analyses lorsqu’elles sont faites, avec conscience et sincérité, par des experts savans et compétens, tels que Cavalcasello et Crowe, MM. Venturi et Berenson, même lorsqu’elles aboutissent parfois à des hypothèses hasardeuses et contestables. Mais, de là, à vouloir substituer, en tête, les noms de Gaddo Gaddi, Rusuti, Puccio Capanna, ou tel autre, à celui que les traditions et les vraisemblances donnent pour le créateur et directeur, il y a loin encore. C’est donc avec bien des réserves que nous suivrons même M. Venturi dans l’ingénieuse et perspicace répartition qu’il fait des divers morceaux. D’après lui, sur les 28 compartimens, sept seulement (n° 1, 16, 19, 20, 21, 22, 23) auraient été peints par Giotto. Les autres seraient dus à quatre collaborateurs, Filippo Rusuti (n° 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12), un « maître des formes grandioses » Puccio Capanna (n° 2, 3, 4) ou l’un de