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plus idéaliste des révolutions aboutit, comme il arrive toujours, à un compromis, car c’est là la loi de l’histoire. Elle aboutit à un compromis entre le passé et l’avenir. Napoléon Ier ne représente pas autre chose que ce compromis ; c’est-à-dire la restauration du principe monarchique et des institutions qui lui servent d’appui, mais conciliée avec l’esprit nouveau, et sauvegardant quelques-unes des conquêtes de la Révolution. Napoléon Ier, c’est la royauté reposant sur l’égalité politique et l’égalité civile ; la royauté épousant en secondes noces la démocratie. C’est en lisant un admirable fragment des œuvres posthumes de M. de Tocqueville, consacré à peindre l’état moral de la France sous le Directoire, qu’on comprend le mieux ce qu’il y eut de nécessaire dans l’avènement de la nouvelle dynastie. Cet avènement fut béni des Nombreux, il répondait à tous leurs désirs, à leur bon sens qui comprenait qu’il était certains résultats de la Révolution acquis désormais à l’histoire, et sur lesquels, bon gré, mal gré, il n’y avait pas à revenir. Ces résultats étaient consacrés par le grand homme qui mettait fin du même coup aux déchiremens intérieurs, aux désordres, à l’anarchie. Les Nombreux respiraient. La Révolution avait prétendu les gouverner par la terreur et par l’enthousiasme, régime qui ne leur convient guère et qui, à la longue, leur fait horreur.

D’ailleurs, grâce à leur pénétration naturelle, ils avaient découvert que quelques-uns des grands mots avec lesquels on essayait de faire vibrer les cordes de leurs nerfs, n’étaient qu’un moyen employé par des ambitieux avides de pouvoir et qui comptaient sur la candeur d’autrui pour couvrir de formules pompeuses leurs vues personnelles et très intéressées. Ce qu’il fallait à tout prix au peuple français, c’était l’ordre et la paix, un gouvernement fort, capable de résister également aux réactions imprudentes et aux entreprises des novateurs et des tribuns ; c’était un compromis, un compromis approuvé par le bon sens, favorable aux intérêts du plus grand nombre, et placé sous la garde d’une volonté et d’une épée ; et le compromis, la volonté, l’épée, le grand homme leur assurerait tout cela.

Voilà donc les Nombreux satisfaits. Mais en face d’eux, que devient le petit troupeau des idéalistes, de ceux qui, quelles que fussent leurs opinions, sentaient en eux le tempérament révolutionnaire ; de ceux à qui la Révolution avait appris à aspirer à tout, à prétendre à tout, à tout espérer, à tout vouloir ? Il