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qui devait lui rendre le service d’exprimer dans un langage magnifique les désespérances et les ennuis dont elle se sentait tourmentée, et de donner à ses chagrins la consécration glorieuse du génie.

Qu’est-ce donc que René ? On a dit qu’il représente le génie sans volonté. Mais ce n’est pas assez dire. René ne veut rien, non qu’il soit né incertain et flottant, qu’il soit affligé de cette faiblesse de caractère qui rend toute décision douloureuse à une âme qui redoute les conséquences de ses actions. René ne veut rien parce qu’il ne trouve pas que rien soit digne d’être voulu. Il a beau chercher, il ne découvre point de but qui vaille la peine d’être poursuivi. Il dédaigne la vie parce qu’il se sent supérieur à elle ; elle n’est pas faite à la mesure de ses aspirations et de ses rêves. René ne veut rien, parce qu’il ne saurait que vouloir. Pour vouloir, il faut vouloir quelque chose ; mais l’idéal de René est un idéal vague, insaisissable, qu’il ne peut se définir à lui-même. Il sait qu’au de la de tout ce qu’il voit, de tout ce qu’il éprouve, de tout ce qu’il sent, il peut imaginer quelque chose, mais ce quelque chose, il est impuissant à le nommer et à s’en rendre compte. Tout lui semble incomplet, mais il ne saurait comment s’y prendre pour rien compléter. À vrai dire, René a moins un idéal que la faculté même de l’idéal, faculté qui en lui opère à vide.

Pour nous représenter ses souffrances, imaginons un homme qui sentirait en lui le don de la mémoire, et qui n’aurait rien à se rappeler, la puissance de penser et qui ne penserait rien, un homme qui, par impossible, arriverait à voir la lumière sans réussir à apercevoir aucun des objets qu’elle éclaire. De même, René est capable de rêver, mais ses rêves sont de vagues fantômes qui n’ont point de forme réelle et qui s’évanouissent comme des ombres. Il a la faculté de croire et d’aimer, mais il ne croit à rien et il ne trouve rien à aimer. Et c’est ainsi qu’il éprouve une foule de facultés qui ne peuvent s’exercer. Il a le besoin de l’infini, mais cet infini est l’indéfini, il ne peut revêtir une forme perceptible à sa raison ; il a beau fouiller l’immensité de l’espace et les profondeurs des cieux, il n’y voit rien qui corresponde à l’objet vague de ses désirs. Et ainsi il nourrit en lui une flamme qui manque d’alimens. Qui pourrait l’exprimer aussi bien que lui :

« La solitude absolue, dit-il, le spectacle de la nature, me