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au-delà ; pourquoi ne pas la suivre jusqu’au bout ? À cela je réponds d’abord, qu’après tout, ce dénouement n’est pas si arbitraire qu’il le semble. J’ai suivi l’histoire du roman français d’une révolution à une autre ; du lendemain de la Renaissance, ce grand événement d’où l’on fait dater l’histoire moderne, jusqu’au lendemain de la Révolution de 89, cet autre grand événement qui termine une période de l’histoire et en commence une autre. Ce plan ne manque donc pas d’une certaine régularité et ce modeste édifice se termine des deux côtés par des ailes en retour qui se font symétrie. D’ailleurs, depuis Corinne, depuis René et Adolphe, et surtout depuis les dernières années de la Restauration, le roman français a tant produit, il a pris un tel développement, si riche, si prodigieux, qu’en rendre compte ne serait pas une petite entreprise.

Mais surtout, remarquons que si l’on voulait poursuivre cette étude morale plus encore que littéraire, il faudrait pouvoir discerner sûrement parmi cette foule de romans, éclos de 1830 à nos jours, les œuvres qui sont vraiment typiques, celles qui sont autre chose que des fantaisies d’une imagination qui ne relève que d’elle-même, celles qui représentent l’état réel, les vraies tendances des esprits. Ce triage se fait de lui-même quand il s’agit des siècles passés ; car le temps se charge pour nous de replonger dans l’ombre les productions éphémères pour ne laisser surgir que les œuvres dignes de vivre. Ce sera au XXe siècle qu’on verra clair dans le chaos du roman contemporain et qu’aura lieu cette espèce de jugement suprême qui attribue à chacun sa place et son rang définitif et qui fait justice des succès trompeurs fondés sur un caprice de la mode, ou sur les aberrations de goût des contemporains.

Ce n’est donc point par dédain pour le roman du milieu du XIXe siècle que nous ne l’avons point fait rentrer dans le cadre de cette étude. Bien loin de là, j’estime que parmi cette foule d’œuvres médiocres que le roman a produites depuis cinquante ans, il se trouve des chefs-d’œuvre qui peuvent hardiment se mesurer avec les Corinne et les René, et que, même au point de vue moral, on trouverait dans tel ou tel de ces chefs-d’œuvre, représentée avec éclat, cette sagesse qui manquait à la noble race des mélancoliques de l’époque de l’Empire, cette sagesse, qui, selon l’expression d’un philosophe, nous apprend à nous accommoder du monde tel qu’il est, tout en lui demeurant