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falsifié une citation de Taine, il l’a falsifiée au point de la rendre inintelligible. L’accusera-t-on d’y avoir mis une criminelle intention ? Taine écrit en parlant de la Législative : parmi ses membres, « pas un noble ou prélat de l’ancien régime. » M. Aulard cite : « pas un noble, dit-il au prélat de l’ancien régime. » C’est grave. Prêter à Taine une conversation avec un prélat de l’ancien régime, c’est le compromettre outrageusement. Sous la Terreur, il n’en eût pas fallu davantage pour le conduire à l’échafaud. A descendre jusqu’à certaines querelles d’Allemand, on aboutit à des absurdités. Parmi les erreurs matérielles reprochées à Taine par M. Aulard, il apparaît qu’un certain nombre sont des erreurs de M. Aulard, d’autres sont grossies au-delà de toute proportion, beaucoup sont de simples lapsus ou inexactitudes de transcription sans conséquence. Est-il permis, pour si peu, de réduire à rien le fruit d’un pareil labeur ? Dira-t-on que M. Aulard ne mérite aucune confiance parce qu’il lit Tournon pour Tournus, parce qu’il lui arrive de se tromper de carton, de confondre une pièce avec une autre, ou de ne pas trouver sur la carte tel village comme Bascon en Beauce, facile pourtant à identifier avec Baccon en Loiret ? Ces petits accidens sont inséparables de tout travail un peu minutieux : ils sont véniels à nos yeux quand il s’agit de M. Aulard ; pourquoi sont-ils impardonnables aux yeux de M. Aulard quand il s’agit de Taine ?

Passons à des reproches de plus de portée. Taine, dit M. Aulard, a la généralisation trop facile. C’est en effet la tendance de Taine, comme de tous ceux qui ont l’ambition de tirer des faits autre chose qu’un simple récit. Mais voyons comment procède M. Aulard pour justifier cette assertion. Il prend pour exemple un passage où Taine rapproche et groupe un certain nombre de troubles ou d’émeutes qui se sont produits en diverses provinces au sujet des subsistances. Taine conclut : « La première des propriétés, celle des subsistances, est violée en mille endroits. » Mille endroits ! s’exclame M. Aulard. Il compte sur ses doigts les exemples allégués, il en trouve 17. (En réalité il y en a 18, mais peu importe.) M. Aulard gourmande Taine qui a écrit : mille. Si vous disiez a M. Aulard qu’il a eu mille peines à écrire son Histoire politique de la Révolution, il vous répondrait qu’il ne les a pas comptées. Si vous lui parliez du Plateau de Millevaches, il