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L’escadre de Forbin, entièrement armée aux frais du trésor royal, et celle de du Guay-Trouin, armée par des particuliers, se trouvaient donc dans des conditions quelque peu différentes. Si nous insistons sur ce point, c’est que peut-être faudra-t-il y voir un des motifs de la différence de conduite des deux chefs sur le champ de bataille, différence qui amena entre eux le conflit que nous entreprenons de raconter.

Forbin venait de rentrer d’une croisière très dure dans la mer du Nord, qu’il avait poussée jusque dans la Mer-Blanche. Parti de Dunkerque le 11 mai 1707, avec neuf bâtimens, il s’était dès le lendemain, à la suite d’un glorieux combat, emparé de deux vaisseaux de guerre anglais et de 22 bâtimens de commerce qu’ils convoyaient. Après avoir ramené ses prises à Dunkerque, il était reparti le 8 juin, avait doublé le cap Nord, et apparaissant à l’improviste dans la Mer-Blanche, avait pris et brûlé plus de 40 bâtimens anglais et hollandais ; puis, se doutant qu’il serait attendu au retour, à l’entrée de la Manche, par des forces supérieures, il avait trompé habilement tout le monde par de faux avis, et ramené heureusement son escadre à Brest, par le Nord de l’Écosse et de l’Irlande. Il était au mouillage depuis le 24 septembre.

Du Guay-Trouin était sur rade depuis la fin d’août, de retour d’une campagne peu fructueuse sur les côtes de Portugal, où il avait attendu en vain la riche flotte du Brésil ; celle-ci avait passé entre les mailles de sa croisière, et, à bout de vivres après quatre mois de mer, il était revenu à Brest, fort dépité de n’avoir pu tirer parti de l’armement le plus considérable qu’il eût encore eu sous ses ordres. Il fit caréner ses bâtimens, pendant qu’ils se ravitaillaient, et, brûlant du désir de prendre sa revanche, il proposa au secrétaire d’État à la Marine, M. de Pontchartrain, de se joindre à l’escadre Forbin et d’aller croiser ensemble à l’entrée de la Manche pour y attendre les flottes marchandes anglaises venant de Lisbonne. En outre, en véritable homme de guerre, il entrevoit la possibilité de profiter de cette réunion de vaisseaux pour effectuer quelque action plus militaire que la prise de simples bâtimens de commerce, et il demande la permission d’aller enlever les vaisseaux de guerre anglais qui pourraient se trouver sur les rades de Plymouth et de l’île de Wight. Mais cette proposition effarouche la Cour.