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fallu, quoique d’ailleurs plein de courage et de valeur, il ne voulut jamais m’attendre. Ses vaisseaux étant espalmés de nouveau, il prit les devans, et sans avoir convenu de rien, comme j’ay dit, suivy d’une des frégates de son escadre pour le soutenir, il alla aborder le commandant ; l’anglais fut démâté de tous ses mâts et se rendit… »

Puis un peu plus loin, il dit : « De cinq vaisseaux qui l’escortaient, il y en eut trois de pris, un de brûlé ; le cinquième se sauva, avec toute la flotte, que nous aurions infailliblement enlevée, je le répète, si M. Duguay avait agy avec un peu plus de circonspection. »

À cette lecture, du Guay-Trouin sentit se réveiller toute son indignation. Il avait lui aussi écrit des Mémoires, qu’il ne voulait pas publier de son vivant, mais qui venaient d’être édités malgré lui à Amsterdam, par un nommé Villepontoux, après avoir été copiés subrepticement dans le cabinet du cardinal Dubois, à Meudon, au moment de la mort de ce ministre. Cette édition est d’ailleurs peu conforme au manuscrit ; elle fourmille d’erreurs et d’omissions, dues à la hâte du copiste. Déjà malade de la maladie qui devait l’emporter, souffrant de ses anciennes blessures, en proie à la mélancolie qui atteint si souvent les hommes d’action lorsqu’ils vieillissent dans la solitude, le vieux loup de mer reprit néanmoins la plume, et écrivit une sorte de justification du combat de 1707, qu’il destinait à paraître comme préface de la véritable et définitive édition de ses Mémoires, qu’il se mit à préparer. La mort l’empêcha de mettre ce projet à exécution ; cette préface fut trouvée dans ses papiers ; mais les éditeurs de la seconde édition, qui parut en 1740, ne jugèrent pas à propos de la publier, sans doute à cause de sa vivacité. En voici quelques passages :

« Je mis toutes mes voiles dehors, et je m’approchai à la grande portée de canon de cette flotte, comptant que M. de Forbin, qui était encore à une lieue au-dessus du vent, ne tarderait pas à me joindre ; mais, au grand, étonnement de tous, il s’avisa de mettre en travers et de faire signal de prendre les ris dans les huniers, d’un temps où, si cela eût été, on les aurait largués pour joindre les ennemis plus vite.

« Il est vray que l’esprit de subordination, si nécessaire dans le service, me fit aussi mettre en travers et prendre les ris : c’est là ma faute, si c’en est une ; mais c’est une faute bien